Ouvrir son capital aux salariés via un Plan d’Épargne d’Entreprise (PEE) représente bien plus qu’un simple outil de motivation. C’est une démarche stratégique qui permet de fidéliser les équipes, d’aligner les intérêts de chacun sur la performance et la vie de l’entreprise et, dans certains cas, de renforcer les fonds propres. Toutefois, une augmentation de capital réservée aux salariés est une opération juridique et financière complexe, jalonnée d’étapes et de règles précises. Pour les dirigeants d’entreprise et les responsables des ressources humaines, la maîtrise de ce processus est essentielle afin de sécuriser l’opération et d’en maximiser les bénéfices. La mise en place d’une augmentation de capital réservée aux salariés est une opération complexe qui requiert l’accompagnement d’un avocat expert en actionnariat salarié pour sécuriser chaque étape juridique et fiscale. Ce mécanisme s’inscrit dans le cadre plus large de l’actionnariat salarié, une stratégie visant à aligner les intérêts des employés avec ceux de l’entreprise.
Introduction au dispositif d’augmentation de capital réservée aux PEE
Une augmentation de capital réservée aux adhérents d’un PEE est une opération par laquelle une société émet de nouvelles actions qu’elle propose à la souscription de ses salariés, à des conditions préférentielles. Ces actions sont alors logées au sein du PEE, un dispositif d’épargne collectif bloqué pendant une durée minimale de cinq ans, sauf cas de déblocage anticipé. L’intérêt principal pour le salarié réside dans la possibilité d’acquérir des titres de son entreprise avec une décote sur le prix, tout en bénéficiant d’un cadre fiscal et social particulièrement avantageux.
Cadre légal et intérêt stratégique de l’actionnariat salarié via PEE
Ce dispositif est encadré par une double réglementation : le Code de commerce, notamment ses articles L. 225-127 et suivants, et le Code du travail aux articles L. 3332-18 et suivants. Pour une entreprise, les motivations sont multiples. Il s’agit d’abord de renforcer l’implication des salariés en les associant directement au capital et aux résultats. Cette démarche peut devenir un puissant levier de fidélisation des talents et d’amélioration du climat social. Ensuite, l’actionnariat salarié permet de constituer un noyau d’actionnaires stables, socle d’un actionnariat collectif, ce qui peut s’avérer protecteur, notamment en cas de tentative de prise de contrôle hostile. Enfin, c’est un moyen de financement qui permet d’augmenter les fonds propres de la société en s’appuyant sur ses ressources internes, au profit de sa croissance.
Éligibilité et périmètre des augmentations de capital PEE
La mise en œuvre d’une telle opération suppose de définir précisément quelles entreprises, et quels salariés, peuvent y participer.
Entreprises concernées : sociétés cotées et non cotées
Toute société par actions, qu’elle soit cotée en bourse ou non, peut décider de réserver une augmentation de capital à ses salariés. Cela inclut les Sociétés Anonymes (SA), les Sociétés par Actions Simplifiées (SAS) et les Sociétés en Commandite par Actions (SCA). Alors que le PEE est accessible à de nombreuses formes de sociétés, les jeunes entreprises innovantes, un type de structure très présent dans le secteur du numérique en France, se tournent souvent vers des mécanismes comme les BSPCE, spécifiquement conçus pour leur modèle de croissance proche de leur date de création. Les modalités de fixation du prix des actions différeront logiquement selon que la société est cotée ou non, mais le principe de l’opération reste identique.
Définition du groupe et périmètre de consolidation applicable
L’opération peut être étendue à l’ensemble des salariés des entreprises d’un même groupe. La notion de groupe est ici plus restrictive que pour un PEE classique. L’article L. 3344-1 du Code du travail précise que seules sont concernées les entreprises incluses dans le même périmètre de consolidation ou de combinaison des comptes, au sens de l’article L. 233-16 du Code de commerce. Concrètement, cela vise principalement les sociétés contrôlées de manière exclusive ou conjointe, excluant celles sur lesquelles l’entreprise n’exerce qu’une influence notable. Pour les groupes internationaux, des critères additionnels peuvent entrer en jeu, notamment via les conventions fiscales et la notion d’établissement stable, ce qui justifie une analyse juridique au cas par cas pour éviter toute éventuelle remise en cause du périmètre.
Bénéficiaires éligibles : salariés, mandataires sociaux et anciens salariés
Le dispositif a un caractère collectif : il doit être ouvert à tous les salariés de l’entreprise ou du groupe concerné. Une condition d’ancienneté peut être exigée, mais elle ne peut excéder trois mois. Les anciens salariés partis à la retraite ou en préretraite peuvent également souscrire, à condition qu’ils aient conservé des avoirs dans le PEE. En revanche, les dirigeants et mandataires sociaux ne peuvent en bénéficier que dans les entreprises de moins de 250 salariés. Cette ouverture restreinte aux PME vise à permettre aux dirigeants de ces structures de s’associer à la démarche au même titre que leurs collaborateurs.
Procédure de mise en place et conformité légale des augmentations de capital PEE
La mise en œuvre d’une augmentation de capital réservée aux salariés est une procédure formaliste qui exige de respecter plusieurs étapes et consultations obligatoires pour garantir sa validité juridique. La jurisprudence récente confirme que le non-respect de ces étapes peut entraîner la nullité de l’opération.
Obligations de consultation des actionnaires (AGE) et du CSE
La décision d’augmenter le capital est une prérogative de l’Assemblée Générale Extraordinaire (AGE) des actionnaires. L’article L. 225-129-6 du Code de commerce impose même que, lors de toute décision d’augmentation de capital en numéraire, un projet de résolution tendant à réaliser une opération réservée aux salariés soit présenté à l’AGE, une obligation dont la publication des délibérations atteste du respect. En parallèle, le Comité Social et Économique (CSE), dans les entreprises de plus de 50 salariés, doit être informé et consulté sur le projet avant la tenue de l’AGE. Cette consultation, régie par l’article L. 2312-8 du Code du travail, est substantielle : elle doit être menée de manière loyale et sérieuse, avec des informations précises sur l’impact en matière de conditions de travail ou de formation. Son absence ou sa réalisation pro forma expose l’entreprise à des contentieux et à un risque d’annulation de l’opération.
Décision d’augmentation de capital : rôles du CA, directoire et délégations
C’est l’AGE qui autorise le principe de l’augmentation de capital réservée et qui en fixe le montant maximal. Elle peut cependant déléguer au Conseil d’Administration (CA) ou au Directoire le soin de mettre en œuvre l’opération et d’en fixer les modalités pratiques : calendrier, prix de souscription, montant de la décote, etc. Cette délégation, dont la durée maximum ne peut excéder 26 mois, doit être claire et précise. Le CA ou le Directoire agira alors sur la base de cette habilitation, en présentant des rapports spécifiques, notamment un rapport complémentaire à la prochaine assemblée générale décrivant les conditions définitives de l’opération.
Délais administratifs et points de blocage : anticiper les risques
L’augmentation de capital doit être réalisée dans un délai maximal de cinq ans à compter de la décision de l’AGE. Une fois les souscriptions reçues, les titres peuvent être libérés immédiatement ou dans un délai de trois ans. Il est crucial d’anticiper les délais inhérents à la procédure, notamment la convocation des instances (AGE, CSE), la préparation des rapports, et la période de souscription laissée aux salariés. En pratique, des points de blocage peuvent survenir lors de l’enregistrement des modifications statutaires auprès du greffe, souvent en raison de dossiers incomplets, pouvant retarder de plusieurs semaines la finalisation juridique de l’opération.
Fixation du prix et avantages fiscaux des actions PEE (décote)
L’un des principaux attraits du dispositif réside dans la possibilité pour les salariés d’acquérir des actions à un prix préférentiel. Le traitement fiscal avantageux de la décote sur les actions PEE est distinct du régime des stock-options, qui comporte ses propres règles d’imposition sur le gain de levée et la plus-value de cession.
Méthodologie d’évaluation des titres pour sociétés cotées et non cotées
La détermination du prix de souscription obéit à des règles strictes. Pour une société cotée, le prix de référence ne peut être supérieur à la moyenne des cours cotés lors des vingt séances de bourse précédant la décision. Pour une société non cotée, l’évaluation est plus complexe et constitue un enjeu majeur. L’article L. 3332-20 du Code du travail impose de retenir des méthodes objectives, en tenant compte, selon une pondération appropriée, de la situation nette comptable, de la rentabilité et des perspectives d’activité. Cette évaluation est réalisée sous le contrôle du commissaire aux comptes, ou à défaut d’un expert indépendant désigné à cet effet, garant d’une saine gestion de l’opération. Une valorisation juste et documentée est indispensable pour prévenir tout risque de contentieux sur le prix de cession des actions.
Application de la décote et ses seuils (30% à 40%)
Sur la base du prix de référence ainsi déterminé, l’entreprise peut accorder une décote (un rabais) aux salariés souscripteurs. Depuis la loi PACTE de 2019, cette décote peut atteindre 30 %. Elle peut même être portée à 40 % si le PEE prévoit une durée d’indisponibilité des titres d’au moins dix ans. Cet avantage substantiel constitue le principal levier d’incitation pour les salariés, au cœur des dispositifs d’épargne salariale. Il est, de plus, exonéré d’impôt sur le revenu et de cotisations sociales.
Stratégies d’optimisation : attributions gratuites d’actions en substitution
L’article L. 3332-21 du Code du travail offre une flexibilité intéressante pour les DAF et DRH. L’AGE peut décider de remplacer tout ou partie de la décote par une attribution gratuite d’actions (AGA). Par exemple, au lieu d’une décote de 30 %, l’entreprise pourrait offrir une décote de 15 % complétée par l’attribution d’une action gratuite pour un certain nombre d’actions souscrites. Il est aussi possible d’attribuer des actions gratuites dont la contre-valeur s’impute sur le plafond de l’abondement versé par l’entreprise, souvent calculé en pourcentage du plafond annuel de la Sécurité sociale. Ces mécanismes permettent d’optimiser le montage pour l’adapter à la stratégie financière de l’entreprise et maximiser l’effet incitatif pour les salariés.
Régime social et fiscal des augmentations de capital PEE
Le succès de ce dispositif repose en grande partie sur un régime fiscal et social particulièrement attractif, tant pour l’entreprise que pour les salariés.
Exonérations d’impôt sur le revenu et de cotisations sociales
Pour le salarié, l’avantage majeur réside dans l’exonération totale de l’avantage tiré de la décote, comme le prévoit l’article L. 3332-22 du Code du travail. Contrairement à d’autres dispositifs d’actionnariat, cet avantage n’est ni soumis à l’impôt sur le revenu, ni aux cotisations sociales salariales et patronales. Il s’agit d’un gain net direct pour le bénéficiaire.
CSG-CRDS et forfait social : spécificités d’application
Bien qu’exonéré de cotisations sociales, l’avantage lié à la décote reste soumis à la CSG et à la CRDS. Pour l’employeur, cet avantage est exclu de l’assiette du forfait social, une contribution habituellement due sur les rémunérations exonérées de cotisations de sécurité sociale, dont les règles ont souvent été modifiées par chaque loi de financement de la Sécurité sociale annuelle. Cette double exonération (cotisations et forfait social) rend le dispositif très compétitif par rapport à d’autres formes de rémunération complémentaire.
Traitement des revenus et plus-values de cession des titres PEE
Tant que les actions sont conservées dans le PEE, les dividendes perçus sont exonérés d’impôt sur le revenu, à condition d’être réinvestis dans le plan, conformément à l’article 163 bis B du Code général des impôts. À l’issue de la période d’indisponibilité de cinq ans, si le salarié décide de céder ses titres, la plus-value réalisée est également exonérée d’impôt sur le revenu. Seuls les prélèvements sociaux (CSG, CRDS, etc.) au taux global de 17,2 % sont dus sur les gains de vente, qui viennent ainsi valoriser le patrimoine du salarié.
Modalités de souscription, paiement et financement innovant (FCPE à effet de levier)
La souscription des titres par les salariés peut s’opérer de différentes manières, avec des options de financement structurées pour faciliter leur participation.
Souscription des titres : directe ou via FCPE et FCPE relais
Les salariés peuvent souscrire aux actions soit directement, devenant ainsi actionnaires inscrits au nominatif, soit indirectement par l’intermédiaire d’un Fonds Commun de Placement d’Entreprise (FCPE). Cette seconde option, la plus fréquente, consiste à ce que les salariés acquièrent des parts d’un fonds qui, lui, détient les actions de l’entreprise, son gestionnaire se chargeant des opérations pour le compte des épargnants. Pour les opérations complexes, un FCPE dit « relais » peut être mis en place temporairement pour collecter les versements avant de les investir lors de l’augmentation de capital effective.
Abondement de l’entreprise et délais de paiement accordés
Pour encourager la souscription, l’entreprise peut verser un abondement, c’est-à-dire une somme complémentaire qui s’ajoute au versement du salarié. Cet abondement est plafonné et bénéficie lui aussi d’un régime social et fiscal de faveur. De plus, la loi autorise l’entreprise à accorder aux salariés des délais de paiement pour la libération (le paiement) des titres souscrits, pouvant aller jusqu’à trois ans. L’entreprise peut même, dans le cadre de l’article L. 225-216 du Code de commerce, consentir un prêt à ses salariés pour financer l’acquisition des actions.
Financement à effet de levier et FCPE dédiés
Des montages plus sophistiqués, dits « à effet de levier », peuvent être proposés pour le financement salarié de l’augmentation de capital. Le mécanisme consiste à permettre au salarié de souscrire pour un montant supérieur à son apport personnel, la différence étant financée par un prêt bancaire contracté par le FCPE. L’apport du salarié est généralement garanti, et il bénéficie d’une partie de la performance des actions acquises grâce à l’effet de levier. Ces opérations d’actionnariat salarié à effet de levier permettent de démultiplier le potentiel de gain tout en maîtrisant le risque sur l’actif souscrit, mais elles impliquent des structures de FCPE dédiées, régies par le Code monétaire et financier, et une ingénierie financière précise.
Conséquences sur la gouvernance d’entreprise et les droits des actionnaires salariés
L’entrée massive de salariés au capital n’est pas sans conséquence sur l’équilibre des pouvoirs au sein de la société et sur sa gouvernance.
Représentation de l’actionnaire salarié aux organes de gouvernance
Lorsque les salariés détiennent plus de 3 % du capital social à l’issue de l’opération, la loi impose leur représentation au Conseil d’Administration ou de Surveillance. Un ou plusieurs administrateurs représentant les salariés actionnaires doivent alors être élus par l’assemblée générale, sur proposition des actionnaires salariés eux-mêmes. Cette présence au cœur des organes de décision assure que la voix des salariés actionnaires soit entendue dans les délibérations stratégiques. L’entrée de salariés au capital via un PEE soulève des questions fondamentales sur la représentation des salariés actionnaires au sein des organes de gouvernance, un enjeu traité en détail dans notre guide.
Droits de vote des salariés actionnaires et stabilité du capital
Qu’ils détiennent leurs actions directement ou via un FCPE, les salariés actionnaires exercent leurs droits de vote lors des assemblées générales. Lorsque les titres sont logés dans un FCPE, c’est le conseil de surveillance du fonds qui exerce les droits de vote, souvent après consultation des porteurs de parts. Cette concentration du vote peut faire de l’actionnariat salarié un bloc significatif au premier plan, contribuant à la stabilité du capital et à la défense de l’entreprise contre des intérêts extérieurs jugés hostiles.
Mettre en place une augmentation de capital réservée aux salariés est une opération à forte valeur ajoutée, mais sa complexité juridique et fiscale exige une préparation méticuleuse et une exécution sans faille. Pour auditer votre projet, sécuriser la procédure ou explorer les stratégies d’optimisation les plus pertinentes, l’accompagnement par un cabinet d’avocats est un facteur clé de succès qui vous fera gagner un temps précieux. Notre équipe se tient à votre disposition pour vous conseiller à chaque étape de votre démarche en droit des affaires.
Sources
- Code de commerce (Articles L. 225-127 et s., L. 225-129-6, L. 233-16)
- Code du travail (Articles L. 3332-18 et s., L. 3344-1, L. 2312-8)
- Loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié
- Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi PACTE)
- Loi n° 2023-1107 du 29 novembre 2023 portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise (intéressement, accord de participation)