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Les opérations de fusion, cession ou scission d’entreprise sont des étapes stratégiques majeures qui soulèvent de nombreuses questions en droit social. Parmi les plus complexes figure le sort des accords de participation en vigueur. La distinction entre les articles L.3323-8 et L.2261-14 du Code du travail est une source de contentieux fréquents, nécessitant l’expertise d’un avocat en droit social lors de restructurations pour sécuriser les opérations. Pour un employeur, anticiper le régime applicable à ces accords n’est pas une simple formalité : c’est une nécessité pour garantir la sécurité juridique du transfert et maîtriser ses conséquences financières et sociales pour l’entreprise et son personnel.

Les opérations de transfert d’entreprise impactant la participation

Les opérations de fusion ou de cession n’affectent pas uniquement la participation ; elles reconfigurent également en profondeur les dispositifs d’actionnariat salarié, un autre pilier essentiel du partage de la valeur en entreprise. Comprendre la nature de l’opération est donc la première étape pour déterminer le sort des accords collectifs existants.

Définition des modifications dans la situation juridique (fusion, cession, scission)

Une modification dans la situation juridique de l’employeur, au sens du droit du travail, survient lorsqu’une entité économique autonome change d’exploitant, entraînant le transfert de chaque contrat de travail en application de l’article L. 1224-1 du Code du travail. Cette notion recouvre principalement trois types d’opérations. La fusion-absorption entraîne la disparition d’une société (l’absorbée) qui transmet l’intégralité de son patrimoine à une autre (l’absorbante). La cession, quant à elle, peut porter sur la totalité de l’entreprise (par cession de titres ou de fonds de commerce) ou sur une branche d’activité autonome. Enfin, la scission implique la transmission du patrimoine d’une société à plusieurs sociétés existantes ou nouvelles. Ces modifications juridiques ont des conséquences directes sur de nombreux avantages, y compris des outils plus anciens comme les options sur titres, et il est important de comprendre le régime des stock-options pour évaluer l’ensemble des impacts.

Champ d’application des accords de participation et de leur maintien

L’accord de participation, obligatoire dans les entreprises d’au moins 50 salariés, vise à redistribuer une partie des bénéfices de l’exercice. Son mode de calcul, qu’il suive la formule légale ou une formule dérogatoire, est intimement lié aux résultats économiques et à la structure financière de l’entreprise qui l’a mis en place. C’est cette spécificité qui explique pourquoi son maintien post-transfert obéit à des règles dérogatoires au droit commun de la négociation collective. Son devenir dépendra de la possibilité matérielle de continuer à l’appliquer dans la nouvelle structure issue de l’opération.

Articulation des régimes de mise en cause : L.3323-8 et L.2261-14

La question centrale pour tout employeur repreneur est de savoir quel texte gouverne le sort de l’accord de participation de l’entité acquise. Le Code du travail prévoit un régime général pour les conventions collectives et un régime très spécifique pour la participation. L’articulation entre les deux est une source fréquente d’erreurs et de contentieux pour l’entreprise.

Le régime spécial de la participation : cessation d’effet en cas d’impossibilité (Art. L. 3323-8)

L’article L. 3323-8 du Code du travail établit une règle spéciale : l’accord de participation de l’entreprise transférée cesse de produire effet si la modification de la situation juridique (opération de fusion, cession, scission) rend son application « impossible ». Cette impossibilité ne peut résulter de la simple volonté de l’employeur ; elle doit être appréciée objectivement. Elle découle des changements structurels, techniques ou financiers qui rendent les dispositions de l’accord, notamment sa formule de calcul de la réserve spéciale de participation, totalement inopérantes. Par exemple, une fusion-absorption qui fait disparaître les indicateurs comptables et financiers (bénéfice, capitaux propres) de l’entité absorbée, lesquels servaient de fondement au calcul de la participation, caractérise une telle impossibilité.

Distinction avec le régime général des accords collectifs (Art. L. 2261-14)

Ce régime dérogatoire s’oppose frontalement au mécanisme général de « mise en cause » des accords collectifs prévu par l’article L. 2261-14 du Code du travail. Ce dernier organise une survie provisoire de l’accord pendant une durée maximale de 15 mois (préavis de 3 mois et période de maintien d’un an) pour permettre la négociation d’un accord de substitution. Pour les accords de participation, le législateur a considéré ce maintien temporaire comme inadapté. Le régime de l’article L. 3323-8 est donc une lex specialis qui écarte l’application du régime général. En conséquence, un accord de participation ne « survit » pas pendant 15 mois : soit il continue de s’appliquer s’il reste matériellement applicable, soit il cesse immédiatement de produire effet si son application est devenue impossible. Cette exclusion emporte une autre conséquence importante : la « garantie de rémunération » prévue par l’article L. 2261-13, qui s’applique normalement à l’issue de la période de survie d’un accord collectif mis en cause, est également inapplicable aux accords de participation.

Jurisprudence sur l’appréciation de l’impossibilité d’appliquer un accord de participation

La jurisprudence de la Cour de cassation apprécie la notion d’impossibilité de manière concrète et objective. Elle ne se contente pas d’une simple difficulté d’application. L’impossibilité est reconnue lorsque les éléments fondamentaux de la formule de calcul de la participation ne peuvent plus être identifiés au sein de la nouvelle entité. C’est typiquement le cas lors d’une fusion-absorption, où les comptes de la société absorbée sont fondus dans ceux de l’absorbante. De même, un arrêt de la Cour (Cass. soc.) a pu considérer que la poursuite de l’accord d’origine est impossible lorsque le nouvel employeur est déjà couvert by son propre accord de participation. En effet, il ne peut exister deux régimes de participation au sein d’une même entreprise, et chaque salarié transféré bascule alors sous l’accord de l’entreprise d’accueil.

Conséquences des transferts sur les accords de participation en vigueur

Les effets d’une restructuration varient considérablement selon la nature de l’opération et la structure du nouvel ensemble juridique. L’employeur se doit d’anticiper ces conséquences pour chaque type d’accord.

Sort des accords en cas de fusion-absorption et de cession d’entreprise

Dans la majorité des cas de fusion-absorption, l’accord de participation de la société absorbée devient inapplicable. Les comptes étant confondus, il devient matériellement impossible d’isoler les éléments de calcul (bénéfice, capitaux propres, valeur ajoutée) propres à l’ancienne entité. L’accord cesse donc de produire ses effets. Il en va de même lors d’un transfert partiel d’activité, où l’entité transférée est intégrée dans un ensemble plus large, rendant le calcul de sa performance économique distincte impossible. Les salariés transférés bénéficient alors de l’accord de l’entreprise d’accueil, s’il en existe un, pour la période d’activité postérieure au transfert.

Scission et maintien de l’accord initial : analyse et conditions

La scission présente un cas de figure différent. Si l’entreprise est scindée en plusieurs nouvelles entités qui conservent le statut d’unité économique autonome sur les plans financier et juridique, l’accord de participation d’origine peut potentiellement continuer à s’appliquer au sein de chacune d’elles. La condition est que chaque nouvelle société soit en mesure d’identifier les éléments de calcul de la participation sur la base de ses propres résultats. L’administration recommande alors de formaliser ce maintien par un « avenant-constat » dans chaque nouvelle entreprise pour sécuriser la situation juridique et éviter tout contentieux futur.

L’incidence d’une clause de rétroactivité fiscale et comptable

Une attention particulière doit être portée aux opérations de restructuration assorties d’une clause de rétroactivité fiscale (prévue aux articles L. 236-4 et R. 236-1 du Code de commerce). La date de l’effet rétroactif est celle à partir de laquelle les opérations de l’entreprise absorbée sont, d’un point de vue comptable et fiscal, considérées comme réalisées par la société bénéficiaire des apports. La Cour de cassation (notamment Cass. soc., 30 janv. 2019, n° 17-22.712) donne son plein effet à cette clause pour le calcul de la réserve spéciale de participation. En conséquence, l’entreprise absorbante doit calculer sa participation sur l’ensemble des bénéfices consolidés depuis la date d’effet rétroactif. Cette solution, si elle est logique sur le plan fiscal, crée un paradoxe social : les salariés de l’entreprise absorbée ne bénéficient pas de la participation calculée sur des bénéfices qu’ils ont générés, tandis que les salariés de l’entreprise absorbante en profitent. Face à ce risque juridique, il est crucial d’anticiper les effets de l’opération dans un accord de transition.

La gestion des accords de groupe et du changement de contrôle

Le sort des accords de groupe de participation est particulièrement technique. La notion de « groupe » pour la participation n’exige pas forcément de liens capitalistiques mais des liens financiers et économiques. Lorsqu’une société quitte le périmètre d’un accord de groupe (suite à une cession de titres par exemple), l’accord cesse de s’appliquer pour ses salariés. Le règlement de l’accord de groupe doit idéalement prévoir les modalités de sortie pour éviter toute incertitude. À défaut, la sortie d’une entreprise du périmètre de l’accord peut nécessiter une dénonciation formelle de son engagement par l’entreprise sortante, voire une révision de l’accord de groupe par les autres parties. L’entreprise qui sort du périmètre devra alors, si elle remplit les conditions d’effectif, négocier son propre accord.

L’obligation de négocier un nouvel accord après le transfert

Lorsque l’accord de participation de l’ancienne structure cesse de produire ses effets et que la nouvelle entreprise n’est pas déjà couverte par un accord, l’article L. 3323-8 du Code du travail impose une obligation claire à l’employeur : engager une négociation dans un délai de six mois à compter de la clôture de l’exercice au cours duquel la modification est intervenue, en vue de la conclusion d’un nouvel accord. Il s’agit d’une obligation d’engager des discussions loyales, non d’aboutir à un accord. Si les négociations échouent, l’entreprise, si elle y est assujettie, tombera sous le coup du régime d’autorité, moins favorable, et constaté par l’inspecteur du travail. Une fois un nouvel accord négocié, il est impératif de respecter la procédure de dépôt de l’accord de participation auprès des autorités pour garantir sa validité et ses exonérations au regard de la sécurité sociale.

Articulation avec les plans d’épargne salariale (PEE/PERCO)

Avant d’analyser le sort spécifique des PEE et PERCO lors d’une restructuration, il est essentiel de maîtriser le cadre général des plans d’épargne salariale, qui structure l’ensemble de ces dispositifs. Les plans d’épargne, qui recueillent notamment les sommes issues de la participation, obéissent à un régime de transfert distinct et souvent plus souple.

Sort des PEE/PERCO en cas de modification juridique de l’entreprise

Contrairement aux accords de participation, le Code du travail facilite la continuité des plans d’épargne. L’article L. 3335-1 prévoit que si une modification juridique rend « impossible la poursuite de l’ancien plan », les avoirs peuvent être transférés dans le nouveau plan d’épargne de la nouvelle entreprise. Ce transfert collectif est une faculté, non une obligation. Si aucun transfert collectif n’est organisé, les salariés conservent leurs avoirs dans l’ancien plan (qui continue de fonctionner en extinction) et peuvent demander un transfert individuel vers le plan de leur nouvel employeur, ou un déblocage anticipé en cas de rupture du contrat de travail. Alors que le sort des PEE est souvent harmonisé, le sort des PERCO et PERECO en cas de transfert présente des enjeux spécifiques, notamment en ce qui concerne la transition vers les nouveaux plans d’épargne retraite.

Comparaison des régimes de transfert PEE/PERCO et accords de participation

La différence fondamentale pour l’employeur réside dans la finalité des règles. Pour les accords de participation, le régime de l’article L. 3323-8 est un mécanisme de « rupture-négociation » : si le calcul devient impossible, l’accord cesse et il faut renégocier. Pour les PEE/PERCO, le régime de l’article L. 3335-1 vise la « continuité-portabilité » : le plan d’origine peut survivre, les avoirs des salariés sont transférables et conservent leur durée de blocage prévue. Cette distinction s’explique par la nature des dispositifs : la participation est un calcul de performance de l’entreprise, tandis que le plan PEE/PERCO est un véhicule d’épargne individuel dont les avoirs appartiennent déjà au salarié. L’enjeu pour l’entreprise est donc de piloter une négociation d’un côté, et d’organiser une transition technique de l’autre.

La gestion des dispositifs de partage de la valeur lors d’un transfert d’entreprise est un exercice complexe où chaque détail compte. L’anticipation et l’audit des accords existants sont indispensables pour sécuriser l’opération sur le plan social. Face à la complexité de ces régimes, qui engagent la responsabilité du nouvel employeur vis-à-vis des droits hérités de l’ancien employeur, l’assistance d’un cabinet spécialisé est souvent indispensable pour auditer les accords et piloter les négociations post-transfert. Pour une analyse détaillée de votre situation et sécuriser vos procédures, contactez notre cabinet d’avocats.

Sources

  • Code du travail : article L.3323-8 (régime spécial de la participation)
  • Code du travail : article L.2261-14 (régime général de mise en cause des accords collectifs)
  • Code du travail : article L.2261-13 (garantie de rémunération)
  • Code du travail : articles L. 3335-1 et L. 3335-2 (transfert des plans d’épargne salariale)
  • Code de commerce : articles L. 236-4 et R. 236-1 (effets des fusions et opérations assimilées)
  • Code monétaire et financier (dispositions relatives aux plans d’épargne retraite)