La gestion d’un salarié intérimaire investi d’un mandat représentatif est un exercice particulièrement délicat pour une entreprise utilisatrice. Si le recours au travail temporaire offre une flexibilité appréciable, il ne soustrait nullement l’entreprise à des obligations complexes dès lors que l’intérimaire bénéficie d’une protection. Loin d’être une simple relation tripartite, la fin d’une mission peut s’apparenter à une procédure de licenciement aux enjeux considérables. Le statut protecteur, dont les principes généraux sont détaillés dans notre guide complet sur les salariés protégés, s’applique avec des particularités notables qu’il est impératif pour tout employeur de maîtriser afin de sécuriser ses décisions et de prévenir des contentieux lourds de conséquences.
Les représentants du personnel temporaires concernés par la protection
Le statut de salarié protégé n’est pas réservé aux seuls titulaires de contrats à durée indéterminée. Les travailleurs temporaires, bien que juridiquement salariés de l’entreprise de travail temporaire (ETT), bénéficient d’une protection spécifique qui impacte directement l’entreprise utilisatrice. Cette protection couvre une large palette de mandats, exercés au sein même de l’ETT, mais dont les effets se déploient sur le lieu de la mission.
Délégués syndicaux et membres du CSE intérimaires
Le Code du travail étend explicitement la protection aux délégués syndicaux et aux membres élus de la délégation du personnel du comité social et économique (CSE) qui sont salariés d’une entreprise de travail temporaire. Selon l’article L. 2413-1 du Code du travail, leur statut de salarié protégé implique que l’interruption de leur mission à l’initiative de l’entreprise utilisatrice, ou son non-renouvellement, soit soumise à une procédure d’autorisation préalable de l’inspecteur du travail. Cette protection s’applique également aux anciens titulaires de ces mandats et aux candidats, pendant les durées légales post-mandat ou de campagne électorale. La particularité réside dans le fait que, bien que le mandat soit exercé au sein de l’ETT (où ils sont électeurs et éligibles), c’est une décision de l’entreprise utilisatrice qui peut déclencher la procédure protectrice. L’entreprise qui met fin à une mission de manière anticipée place l’ETT dans l’obligation de saisir l’autorité administrative.
Autres mandats et candidatures
Au-delà des mandats les plus courants, la protection s’étend à d’autres fonctions représentatives extérieures à l’entreprise. Un salarié intérimaire peut être conseiller prud’homme, défenseur syndical ou encore conseiller du salarié. Dans de tels cas, la rupture ou le non-renouvellement de sa mission est également soumis au contrôle de l’inspecteur du travail. La Cour de cassation a d’ailleurs confirmé que la protection bénéficie au travailleur temporaire conseiller du salarié non seulement en cas d’interruption de mission, mais aussi si l’entreprise de travail temporaire notifie sa décision de ne plus lui proposer de nouveaux contrats. La protection couvre également les candidats à ces différentes fonctions. L’employeur utilisateur doit donc faire preuve d’une grande vigilance. L’imminence d’une candidature ou d’une désignation, dès lors qu’elle est connue de l’employeur avant l’engagement de la rupture de la mission, suffit à déclencher le statut protecteur. Une simple information orale peut suffire à caractériser cette connaissance, exposant l’entreprise à un risque contentieux majeur si elle ignore cette dimension.
La protection en cas d’interruption ou de non-renouvellement de mission
Le mécanisme central de la protection des salariés temporaires mandatés repose sur le contrôle de l’inspecteur du travail. La décision de mettre fin à une mission ou de ne pas la renouveler n’est pas une simple liberté contractuelle pour l’entreprise utilisatrice ; elle est encadrée par une procédure stricte, dont le non-respect emporte des sanctions sévères.
Procédure d’autorisation de l’inspecteur du travail
Lorsqu’une entreprise utilisatrice souhaite interrompre la mission d’un salarié intérimaire protégé ou décide de ne pas la renouveler (dans les cas où un renouvellement est contractuellement prévu), elle ne peut le faire directement. Elle doit notifier sa décision à l’entreprise de travail temporaire. C’est cette dernière, en sa qualité d’employeur juridique, qui est tenue de saisir l’inspecteur du travail d’une demande d’autorisation de rupture. Cette procédure est d’ordre public, ce qui signifie que ni l’employeur, ni le salarié ne peuvent y renoncer. L’inspecteur du travail va alors mener une enquête contradictoire pour apprécier la situation. Son contrôle porte sur plusieurs points essentiels. Il vérifie que le motif de la rupture de la mission n’est pas lié au mandat du salarié. Il doit s’assurer que la décision de l’entreprise utilisatrice n’est pas une mesure discriminatoire visant à écarter un représentant du personnel. L’inspecteur s’assure de la réalité du motif invoqué par l’entreprise utilisatrice (fin de la tâche, faute grave du salarié…). Si la rupture est fondée sur une faute grave, celle-ci doit être d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié sur son poste, même pour une durée limitée. L’autorisation ne sera accordée que si le motif est jugé légitime et étranger à toute volonté d’entrave à l’exercice du mandat.
Le rôle des accords collectifs de branche (garantie de non-discrimination)
En complément des dispositions légales, la branche du travail temporaire a mis en place des garanties conventionnelles spécifiques. Un accord national du 27 octobre 1988, étendu, a ainsi institué une garantie de non-discrimination dans la proposition de nouvelles missions aux salariés intérimaires titulaires d’un mandat. Cet accord établit une « activité de référence », calculée sur les dix-huit mois précédant l’élection du salarié, afin de pouvoir comparer objectivement le volume et la nature des missions proposées avant et pendant le mandat. Si un salarié protégé constate une baisse significative des propositions de mission, il peut engager une procédure de concertation avec l’entreprise de travail temporaire. Cette dernière doit alors fournir des éléments objectifs, comme l’évolution générale de l’activité, pour justifier cette baisse. En cas de désaccord persistant, une commission paritaire nationale peut être saisie. Ces accords collectifs créent donc une protection supplémentaire contre les discriminations indirectes, qui pourraient viser à décourager l’exercice d’un mandat en raréfiant l’accès au travail.
Conséquences et sanctions en cas de non-respect
L’ignorance ou la méconnaissance du statut protecteur d’un salarié intérimaire expose l’entreprise utilisatrice et l’entreprise de travail temporaire à des sanctions lourdes, tant sur le plan civil que pénal. L’interruption d’une mission sans autorisation administrative n’est pas une simple rupture abusive, mais un acte nul.
La sanction principale de la violation du statut protecteur est la nullité de la rupture. Le salarié est en droit de demander sa réintégration, qui s’entend de la poursuite de sa mission jusqu’au terme initialement prévu. Si la mission est terminée, il peut prétendre à une indemnité forfaitaire pour violation du statut protecteur. Cette indemnité est égale à la rémunération qu’il aurait perçue non seulement jusqu’à la fin de sa mission, mais jusqu’à l’expiration de sa période de protection légale. S’y ajoutent les indemnités de rupture et une indemnité pour licenciement illicite qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Le préjudice pour l’entreprise peut donc être considérable.
En outre, l’interruption ou le non-renouvellement irrégulier d’une mission d’un salarié protégé est constitutif du délit d’entrave. L’article L. 2431-1 du Code du travail, par exemple, punit d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 euros le fait de rompre le contrat d’un délégué syndical en méconnaissance de la procédure d’autorisation. Cette responsabilité pénale peut viser le dirigeant de l’entreprise de travail temporaire, mais aussi celui de l’entreprise utilisatrice s’il est démontré qu’il est à l’origine de la décision illicite. Le juge judiciaire est compétent pour constater le trouble manifestement illicite et ordonner en référé la poursuite de la mission sous astreinte.
La complexité des règles applicables à la rupture de mission d’un intérimaire protégé et la sévérité des sanctions imposent une gestion préventive et rigoureuse. L’articulation des responsabilités entre l’entreprise utilisatrice et l’entreprise de travail temporaire exige une communication sans faille et une parfaite connaissance du cadre légal. Pour analyser une situation spécifique ou sécuriser une procédure, l’assistance d’un avocat est indispensable. Si vous êtes confronté à ce type de situation, notre cabinet vous accompagne pour sécuriser ces procédures de licenciement et protéger les intérêts de votre entreprise.
Sources
- Code du travail, notamment les articles L. 1251-1 et suivants (travail temporaire), L. 2411-1 et suivants (dispositions communes à la protection des salariés), L. 2413-1 (protection des salariés temporaires).
- Accord national interprofessionnel du 27 octobre 1988 sur la représentation du personnel dans les entreprises de travail temporaire.