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Lorsqu’un employeur est confronté à une situation de harcèlement ou à des agissements sexistes, la tentation peut être grande de ne penser qu’au contentieux prud’homal. Pourtant, ignorer les voies de résolution non judiciaires serait une erreur stratégique. Ces mécanismes, souvent initiés en interne ou par des acteurs institutionnels, sont des outils essentiels pour désamorcer les conflits, protéger la santé des salariés et, en définitive, sécuriser l’entreprise contre des risques juridiques et financiers bien plus lourds. Comprendre ces différentes voies est un prérequis pour tout dirigeant ou responsable des ressources humaines soucieux de maintenir un environnement de travail sain et de réagir avec pertinence et efficacité. Ce guide explore les différents leviers d’action à votre disposition, bien en amont d’une éventuelle action en justice, et s’inscrit dans une démarche globale expliquée dans notre guide juridique complet sur le harcèlement au travail. Pour un conseil sur mesure, notre cabinet d’avocats vous propose un accompagnement expert.

L’intervention des représentants du personnel : le droit d’alerte du cse

Le Comité Social et Économique (CSE) est un acteur de premier plan dans la prévention et la gestion des risques professionnels. En matière de harcèlement, son intervention la plus directe passe par le droit d’alerte. Conformément à l’article L. 2312-59 du Code du travail, si un membre de la délégation du personnel constate une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique ou mentale, ou aux libertés individuelles, il doit immédiatement en informer l’employeur. Le harcèlement moral ou sexuel est explicitement visé comme une cause pouvant déclencher cette procédure.

Une fois l’alerte donnée, votre obligation en tant qu’employeur est claire : vous devez procéder sans délai à une enquête conjointe avec le membre du CSE qui a lancé l’alerte. Cette démarche paritaire vise à établir la matérialité des faits et à objectiver la situation. Il ne s’agit pas d’une simple formalité, mais d’une obligation qui, si elle est ignorée, constitue une carence pouvant être lourdement sanctionnée. Si au terme de cette enquête, une solution est trouvée pour mettre fin à la situation, la procédure s’arrête. En revanche, en cas de désaccord sur la réalité des faits ou de carence de votre part, le salarié (ou le membre du CSE avec l’accord écrit du salarié) peut saisir directement le bureau de jugement du conseil de prud’hommes en référé. Le juge pourra alors ordonner toute mesure propre à faire cesser l’atteinte.

Le rôle de l’inspection du travail

L’inspection du travail, souvent perçue uniquement sous son angle répressif, joue un double rôle essentiel en matière de harcèlement. Tout salarié peut la contacter individuellement pour signaler une situation de souffrance au travail. L’intervention de l’agent de contrôle peut alors prendre plusieurs formes, allant du conseil à la constatation d’infractions.

Son premier rôle est celui du contrôle et du conseil. L’inspecteur du travail veille à l’application de la législation. Il peut ainsi vérifier que le règlement intérieur de l’entreprise mentionne bien les dispositions relatives aux harcèlements moral et sexuel, comme l’exige la loi. Suite à une visite, il peut formuler des observations écrites qui, bien que n’étant pas des sanctions directes, constituent des éléments importants qui pourraient être produits lors d’un éventuel contentieux. Son second rôle est la constatation d’infractions. Si les faits portés à sa connaissance sont suffisamment étayés, l’inspecteur du travail peut dresser un procès-verbal pour délit de harcèlement moral ou sexuel. Cette action déclenche la procédure pénale. Pour un employeur, l’intervention de l’inspection du travail doit être prise avec le plus grand sérieux : elle signifie que la situation a atteint un niveau de gravité qui a justifié une alerte externe.

Les propositions du médecin du travail pour des mesures individuelles

Le médecin du travail est un allié stratégique pour l’employeur dans la gestion des conséquences du harcèlement sur la santé d’un salarié. Son rôle est exclusivement préventif et vise à éviter toute altération de la santé des travailleurs. Lorsqu’il constate qu’une situation de harcèlement met en péril la santé physique ou mentale d’un salarié, il peut, en application de l’article L. 4624-3 du Code du travail, proposer des mesures individuelles.

Ces propositions, formulées par écrit après un échange avec vous et le salarié concerné, peuvent être de différentes natures. Il peut s’agir d’un aménagement du poste de travail (modification de l’environnement, adaptation des outils), d’une transformation du poste ou encore d’un aménagement du temps de travail. L’objectif est de soustraire le salarié à la situation pathogène tout en favorisant son maintien dans l’emploi. En tant qu’employeur, vous êtes tenu de prendre en considération ces propositions. Un refus de votre part doit être justifié par des motifs objectifs. Ignorer les préconisations du médecin du travail sans raison valable pourrait constituer un manquement à votre obligation de sécurité.

La procédure de médiation : une voie facultative et ses spécificités

Le Code du travail prévoit une voie de résolution amiable spécifique pour le harcèlement moral : la médiation. Selon l’article L. 1152-6, toute personne de l’entreprise s’estimant victime de harcèlement moral, ou la personne mise en cause, peut engager cette procédure. Il s’agit d’une démarche purement facultative qui repose sur le volontariat des deux parties. Le choix du médiateur, qui peut être interne ou externe à l’entreprise, doit faire l’objet d’un accord.

Le rôle du médiateur est de tenter de concilier les parties et de leur soumettre des propositions écrites pour mettre fin au conflit. En cas d’échec, il les informe des sanctions encourues et des garanties procédurales existantes. Toutefois, cette voie présente des limites importantes pour l’employeur. Le recours à une médiation ne vous exonère pas de votre obligation d’agir immédiatement pour faire cesser les agissements et protéger la victime. De plus, les échanges tenus durant la médiation ne sont pas confidentiels et pourraient être utilisés ultérieurement. Il est essentiel de noter que la médiation est strictement exclue en cas de harcèlement sexuel, où la seule voie de recours est judiciaire.

Les mesures immédiates de l’employeur pour faire cesser les agissements

Face à une dénonciation de faits de harcèlement, votre réactivité est cruciale. L’obligation de sécurité qui pèse sur vous est une obligation de résultat en matière de prévention, mais elle vous impose aussi une action immédiate dès que des faits sont portés à votre connaissance. L’inertie est fautive et lourdement sanctionnée.

L’enquête interne comme premier réflexe

Dès la révélation de faits potentiels, votre premier devoir est de diligenter une enquête interne. Son objectif est d’établir la matérialité des faits de manière objective et impartiale. Cette enquête doit être menée avec rigueur et discrétion pour protéger la dignité de chacun. Elle permet non seulement de vérifier la véracité des allégations, mais aussi de démontrer que vous prenez la situation au sérieux. L’absence d’enquête, même si le harcèlement n’est finalement pas prouvé, peut constituer un manquement à votre obligation de prévention et engager votre responsabilité. Une fois l’enquête menée, la gestion de la preuve devient un enjeu central si une procédure judiciaire devait suivre.

L’exercice du pouvoir disciplinaire

Si les faits de harcèlement sont avérés, vous devez exercer votre pouvoir disciplinaire. Les articles L. 1152-5 et L. 1153-6 du Code du travail disposent que tout salarié ayant procédé à de tels agissements est passible d’une sanction. Il ne s’agit pas d’une simple faculté, mais d’une véritable obligation. La sanction doit être proportionnée à la faute et peut aller jusqu’au licenciement pour faute grave. L’inaction face à un harceleur avéré est considérée comme une faute de l’employeur, qui manque à son devoir de protection de la victime.

L’action du salarié en dehors des voies formelles de rupture

En dehors des procédures de rupture du contrat, le salarié dispose de droits pour se protéger d’une situation de harcèlement, droits que l’employeur doit connaître pour anticiper et gérer correctement les situations de crise.

La dénonciation de bonne foi

Un salarié qui relate des faits de harcèlement, que ce soit à sa hiérarchie, aux représentants du personnel ou à l’inspection du travail, bénéficie d’une protection contre le licenciement. Ce licenciement serait nul, sauf à ce que vous puissiez démontrer la mauvaise foi du salarié. La jurisprudence définit la mauvaise foi de manière très stricte : elle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis. Elle suppose la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce. Un employeur ne peut donc sanctionner un salarié pour avoir alerté sur une situation qu’il percevait, même à tort, comme du harcèlement.

Le droit de retrait pour danger grave et imminent

Le droit de retrait, prévu à l’article L. 4131-1 du Code du travail, permet à un salarié de quitter son poste s’il a un motif raisonnable de penser que la situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Bien qu’initialement conçu pour des risques physiques, la jurisprudence a progressivement admis que le harcèlement moral ou sexuel, en raison de l’atteinte à la santé mentale, pouvait constituer un tel danger. Si un salarié exerce légitimement ce droit, aucune sanction ni retenue sur salaire ne peut être prise à son encontre. Votre rôle est alors d’évaluer la situation, de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser le danger et de permettre la reprise du travail en toute sécurité.

La gestion du harcèlement en amont du contentieux est un exercice complexe qui requiert une connaissance précise des différents leviers d’action et des obligations de l’employeur. Chaque situation est unique et appelle une réponse adaptée. Pour sécuriser vos procédures, protéger votre entreprise et garantir un environnement de travail respectueux, l’assistance d’un conseil est indispensable. Pour une analyse approfondie de votre situation et un conseil adapté, prenez contact avec notre équipe d’avocats.

Sources

  • Code du travail : articles L. 1152-1 et suivants (harcèlement moral)
  • Code du travail : articles L. 1153-1 et suivants (harcèlement sexuel et agissements sexistes)
  • Code du travail : article L. 2312-59 (droit d’alerte du CSE)
  • Code du travail : article L. 4121-1 (obligation de sécurité de l’employeur)
  • Code du travail : article L. 4131-1 (droit de retrait)
  • Code du travail : article L. 4624-3 (propositions du médecin du travail)