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La suspension du contrat de travail, qu’elle soit due à un arrêt maladie, un congé maternité ou toute autre cause légale, plonge la relation de travail dans une situation particulière. Si les obligations principales, comme la fourniture d’un travail et le versement d’un salaire, sont mises en pause, le lien juridique subsiste. Pour un employeur, cette période soulève des questions complexes : que faire si le salarié commet une faute ? Le pouvoir disciplinaire de l’entreprise est-il lui aussi suspendu ? Naviguer dans ce cadre juridique exige une grande prudence pour sécuriser ses décisions. Pour un employeur, la gestion d’une procédure disciplinaire durant une suspension de contrat est une démarche complexe et risquée, où l’assistance d’un avocat en droit du travail est souvent essentielle pour sécuriser la procédure, que ce soit dans le secteur privé ou pour un agent du service public relevant du droit commun.

I. Le maintien du pouvoir disciplinaire de l’employeur : fondements et principes

Contrairement à une idée reçue, la suspension du contrat de travail n’entraîne pas la disparition du pouvoir disciplinaire de l’employeur. Le contrat n’étant pas rompu, le lien de subordination, bien qu’atténué, perdure. C’est ce qui justifie le maintien de certaines prérogatives patronales, dont celle de sanctionner un comportement fautif du salarié.

A. Définition et reconnaissance du pouvoir disciplinaire durant la suspension

Le pouvoir disciplinaire est l’une des manifestations de l’autorité de l’employeur. Il lui permet de sanctionner les agissements du salarié qu’il considère comme fautifs. Durant la suspension du contrat, ce pouvoir ne s’éteint pas. La jurisprudence reconnaît de longue date que l’employeur peut engager une procédure disciplinaire à l’encontre d’un salarié dont le contrat est suspendu, à condition que le fait reproché soit rattachable à l’exécution du contrat ou constitue un manquement aux obligations qui subsistent pendant cette période. La première étape consiste à identifier précisément la cause de la suspension du contrat (maladie, accident, congé…), car celle-ci peut influencer l’étendue des obligations du salarié et les limites du pouvoir de l’employeur. Cette étape est cruciale, car le régime juridique applicable peut varier, par exemple entre une maladie professionnelle et un congé sabbatique.

B. Le fondement légal et jurisprudentiel du maintien de ce pouvoir

Le maintien du pouvoir disciplinaire repose sur le fait que la suspension n’anéantit pas le contrat mais en interrompt seulement l’exécution des obligations principales. Plusieurs textes du Code du travail, comme les articles L. 1225-4 sur la maternité ou L. 1226-9 sur l’accident du travail, ne font que restreindre ce pouvoir sans le supprimer, en prévoyant des protections spécifiques. La Cour de cassation a confirmé ce principe en jugeant qu’un employeur, s’il estime qu’un salarié ne respecte pas ses obligations pendant une suspension, doit user de son pouvoir disciplinaire pour sanctionner, voire licencier, l’intéressé (Cass. soc., 9 mars 1999, n° 97-41.201). L’employeur conserve donc la faculté de sanctionner une faute, y compris une faute lourde si les conditions sont réunies, mais son exercice est plus encadré et les motifs de sanction sont plus limités.

II. Obligations secondaires maintenues et leurs manquements

Si l’obligation de travailler est suspendue, certaines obligations, dites secondaires, continuent de lier le salarié à son entreprise. C’est principalement le manquement à ces devoirs qui peut justifier une sanction disciplinaire pendant la suspension du contrat. La violation de ces obligations persistantes constitue le principal fondement d’une procédure disciplinaire durant cette période.

A. L’obligation de loyauté : étendue et cas de déloyauté

L’obligation de loyauté est la plus importante des obligations qui persistent pendant la suspension. Le salarié doit s’abstenir de tout acte qui pourrait nuire à son employeur ou à son entreprise. Elle persiste même dans des situations totalement extérieures à l’entreprise, où le salarié doit s’abstenir de tout acte préjudiciable. Un manquement à cette obligation peut constituer une faute grave justifiant un licenciement. Les cas les plus fréquents concernent l’exercice d’une activité professionnelle, rémunérée ou non, pendant un arrêt maladie. La jurisprudence opère une distinction fine : seule l’activité qui porte un préjudice réel à l’entreprise est sanctionnable. Par exemple, le fait pour un salarié en arrêt maladie d’exercer une activité pour le compte d’une société concurrente constitue un manquement manifeste à son obligation de loyauté (Cass. soc., 28 janv. 2015, n° 13-18.354). De même, aider son conjoint restaurateur en se livrant à une « activité profitable » a été jugé déloyal (Cass. soc., 17 avr. 1985). En revanche, une activité bénévole, des loisirs ou une formation non concurrentielle, qui ne retarde pas la guérison du salarié, ne sont généralement pas considérés comme fautifs. L’employeur doit donc prouver que l’activité exercée par le salarié lui a causé un préjudice direct (Cass. soc., 26 févr. 2020, n° 18-10.017), lequel ne peut résulter du seul versement des indemnités complémentaires de maladie. Chaque convention collective peut prévoir des dispositions spécifiques, mais le principe de loyauté demeure.

B. Les clauses de confidentialité : application et limites

L’obligation de discrétion et de confidentialité survit également à la suspension du contrat. Le salarié ne peut divulguer des informations confidentielles, des secrets de fabrique ou des données stratégiques de l’entreprise dont il aurait eu connaissance dans le cadre de ses fonctions. Le non-respect de cette obligation est une faute sanctionnable. Cette obligation est d’autant plus forte si une clause de confidentialité a été expressément stipulée dans le contrat de travail. La jurisprudence rappelle que le salarié reste tenu par cette obligation même pendant la suspension du contrat. La divulgation d’informations sensibles à un tiers ou à une entreprise concurrente peut ainsi justifier un licenciement pour faute grave, l’employeur devant alors démontrer la nature confidentielle des informations et le dommage subi. Une attention particulière est requise.

C. L’obligation de non-concurrence : portée et sanction

L’obligation de non-concurrence, qui découle du devoir de loyauté, interdit au salarié de se livrer à des actes de concurrence déloyale. Si une clause de non-concurrence post-contractuelle ne prend effet qu’à la rupture du contrat, l’interdiction de concurrencer son employeur s’applique bien pendant toute la durée du contrat, y compris durant sa suspension. La jurisprudence est constante sur ce point : un salarié en congé sabbatique, par exemple, reste tenu de respecter ses obligations de loyauté et de non-concurrence (Cass. soc., 27 nov. 1991, n° 88-41.488). De manière plus surprenante, la Cour de cassation a même considéré que le fait pour un salarié d’effectuer une formation au sein d’une société concurrente pouvait constituer un manquement à son obligation de loyauté (Cass. soc., 10 mai 2001, n° 99-42.642). La sanction dépendra de la gravité des actes de concurrence et du caractère préjudiciable pour l’entreprise.

III. Les limites et la mise en œuvre du pouvoir disciplinaire

Si le pouvoir de sanctionner est maintenu, son exercice durant la suspension du contrat de travail est strictement encadré. L’employeur doit respecter scrupuleusement la procédure disciplinaire et tenir compte des protections spécifiques liées à la cause de la suspension. Agir sans discernement expose l’entreprise à des risques de contentieux importants.

A. Principes généraux et respect de la procédure disciplinaire

L’employeur qui envisage de sanctionner un salarié doit engager la procédure disciplinaire dans un délai de deux mois à compter du jour où il a eu connaissance des faits fautifs, comme le prévoit l’article L. 1332-4 du Code du travail. La jurisprudence a confirmé que ce délai de prescription n’est ni suspendu, ni interrompu par la maladie du salarié (Cass. soc., 17 janv. 1996, n° 92-42.031). L’ensemble de la procédure (convocation à un entretien préalable par lettre recommandée ou remise en main propre, notification de la sanction) doit être respecté. Le règlement intérieur de l’entreprise peut également préciser ces modalités. Un licenciement pour une faute commise pendant la suspension du contrat de travail doit suivre la même procédure qu’un licenciement classique. Il est donc indispensable pour l’employeur de documenter précisément les faits et de respecter chaque étape pour sécuriser sa décision.

B. Sanctions pécuniaires et autres mesures : légalité et interdictions

Le Code du travail interdit formellement les sanctions pécuniaires (article L. 1331-2). Une retenue sur salaire ne peut être pratiquée que si elle est strictement proportionnelle à la durée d’une absence non justifiée, ce qui n’est pas le cas lors d’une suspension légitime. Une réduction de prime en raison d’un comportement fautif durant la suspension serait donc illégale. Il faut distinguer ces sanctions directes des mesures qui peuvent avoir un impact sur la rémunération, comme une rétrogradation disciplinaire. Une telle mesure n’est pas, par nature, une sanction pécuniaire interdite, mais sa mise en œuvre durant une période de suspension est complexe et son objet doit être clairement non pécuniaire. En pratique, elle ne pourrait prendre effet qu’au retour du salarié dans l’entreprise, après une procédure disciplinaire menée dans les règles.

C. Cas particuliers : faute grave, reprise matérielle du travail, maternité/maladie

La cause de la suspension influe sur l’étendue du pouvoir de l’employeur. En cas d’arrêt pour maladie ou accident du travail, le licenciement ne peut intervenir que pour une faute grave ou l’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif non lié à l’état de santé (par exemple, un motif économique justifiant une réorganisation). Par exemple, bien que le pouvoir disciplinaire de l’employeur soit maintenu, il doit être exercé en tenant compte de la protection spécifique dont bénéficie la salariée durant sa maternité, qui interdit en principe tout licenciement sauf faute grave non liée à l’état de grossesse. La faute grave doit donc être particulièrement caractérisée et totalement étrangère à la maladie ou à la grossesse. De plus, la jurisprudence considère que la période de suspension du contrat ne prend fin qu’avec la visite médicale de reprise. Un salarié qui reprend le travail matériellement mais commet une faute avant cette visite est toujours considéré comme ayant son contrat suspendu. La date de la visite de reprise est donc déterminante. Un licenciement ne pourrait donc être prononcé que pour faute grave (Cass. soc., 12 mars 2002, n° 99-42.037).

IV. Impact des abus du pouvoir disciplinaire et leurs conséquences

L’utilisation détournée des prérogatives de l’employeur, notamment le recours à la suspension du contrat à des fins punitives, expose l’entreprise à des risques juridiques et financiers importants. Il est essentiel pour les employeurs de comprendre ces limites pour éviter des contentieux lourds de conséquences.

A. Suspension abusive ou à intention punitive déguisée

L’employeur ne peut utiliser la suspension du contrat comme une sanction déguisée. Par exemple, une mise à pied conservatoire, qui suspend le contrat, doit être justifiée par une faute d’une gravité telle qu’elle rend indispensable une mesure d’éloignement immédiat du salarié et être suivie rapidement par l’engagement d’une procédure de licenciement. Si une mise à pied conservatoire est prononcée sans être suivie d’une procédure de licenciement pour faute grave ou lourde, elle peut être requalifiée par les juges en sanction disciplinaire injustifiée. L’employeur doit agir rapidement, car un délai trop long entre la mise à pied et l’engagement de la poursuite disciplinaire lui fait perdre son caractère conservatoire. L’employeur serait alors condamné à payer les salaires pour toute la période de suspension. De même, le fait de maintenir un salarié dans une situation de suspension de fait, sans travail et sans rémunération, en dehors des cas légaux, pourrait s’analyser en un licenciement déguisé et abusif.

B. Conséquences juridiques pour l’employeur et droits du salarié

En cas de sanction jugée abusive, injustifiée ou disproportionnée, le salarié peut saisir le conseil de prud’hommes pour en demander l’annulation. Si la sanction est un licenciement, et que celui-ci est jugé nul (par exemple, pour violation de la protection liée à la maternité ou à un accident du travail) ou sans cause réelle et sérieuse, les conséquences pour l’employeur peuvent être lourdes, bien que la possibilité d’une rupture conventionnelle puisse parfois être explorée, sous réserve de l’absence de vice du consentement. Le salarié pourra obtenir sa réintégration dans l’entreprise ou, à défaut, des dommages et intérêts significatifs, incluant potentiellement l’indemnité légale de licenciement et l’indemnité compensatrice de préavis. Le montant de l’indemnisation dépendra de la nature de la nullité et du préjudice subi par le salarié. La prudence et la rigueur sont donc de mise avant toute décision disciplinaire prise à l’encontre d’un salarié dont le contrat est suspendu.

La gestion du pouvoir disciplinaire pendant la suspension du contrat de travail est un exercice délicat qui requiert une parfaite maîtrise des règles légales et jurisprudentielles. Pour sécuriser vos procédures et protéger votre entreprise contre les risques de contentieux, l’accompagnement par un conseil expert est une démarche stratégique pour tout service des ressources humaines. Notre cabinet se tient à votre disposition pour analyser votre situation et vous proposer des solutions adaptées. Pour toute question, vous pouvez consulter un avocat en droit du travail de notre équipe.

Sources

  • Code du travail : articles L1132-1 (voir page 1), L1222-1 (voir page 2), L1225-4 (voir page 3), L1226-9 (voir page 4), L1331-2 (voir page 5), L1332-4 (voir page 6).
  • Code général de la fonction publique (pour un agent public contractuel).
  • Fiche pratique du Ministère du Travail sur le droit disciplinaire (publié en octobre 2023, mis à jour en décembre 2024, page 7).
  • Jurisprudence de la Cour de cassation, chambre sociale (voir par exemple le numéro de pourvoi 18-10.017, page 8).
  • Art. L3141-5 du Code du trav. sur le calcul des congés payés (page 9).
  • Remarque sur la prescription de l’action (voir page 10 du Code du trav.).
  • Dispositions de votre conventionnelle collective applicable (consulter la fiche de paie, page 11).
  • Règlement intérieur de l’entreprise (page 12).
  • Jurisprudence sur la force majeure (page 13).
  • Fiche pratique sur la fin de contrat de type CDD (page 14).
  • Guide sur la mise à la retraite et la cessation d’activité (page 15).