Le contrat de travail intermittent se présente comme un outil de flexibilité précieux pour les entreprises dont l’activité connaît des variations structurelles et récurrentes. Loin d’être une simple alternative au temps partiel classique, il répond à une logique économique spécifique, permettant de pourvoir des emplois permanents qui, par nature, alternent des périodes travaillées et non travaillées. Pour un employeur, maîtriser ce dispositif est essentiel : bien encadré, il offre une souplesse organisationnelle considérable ; mal appréhendé, il expose à un risque majeur de requalification en contrat à temps complet. Cet équilibre délicat est au cœur du guide juridique complet sur le temps partiel et le travail intermittent que notre cabinet met à la disposition des dirigeants et responsables des ressources humaines.
Qu’est-ce que le contrat de travail intermittent ?
Le contrat de travail intermittent (CTI) est un contrat à durée indéterminée (CDI) spécifiquement conçu pour des emplois permanents qui impliquent, par leur nature même, une alternance entre des périodes d’activité et des périodes d’inactivité. Cette particularité le distingue fondamentalement d’un contrat à temps partiel classique, dont la durée du travail est simplement inférieure à la durée légale ou conventionnelle, mais répartie de manière plus régulière.
Définition et spécificités de l’alternance travail/inactivité
La définition légale, posée par l’article L. 3123-34 du Code du travail, insiste sur cette notion d’alternance inhérente à l’emploi lui-même. Il ne s’agit pas de répondre à un surcroît temporaire d’activité, qui relèverait du contrat à durée déterminée ou de l’intérim, mais bien de structurer une relation de travail durable sur un poste permanent dont le rythme est par essence cyclique. Les périodes non travaillées ne constituent pas une suspension du contrat de travail ; elles font partie intégrante de son exécution normale. Durant ces périodes, le salarié conserve son statut, son ancienneté continue de courir et il bénéficie des mêmes droits que les autres salariés de l’entreprise, au prorata de son temps de travail.
Les emplois permanents pouvant donner lieu à un contrat intermittent
La loi ne dresse pas une liste exhaustive des métiers éligibles. Elle renvoie cette responsabilité à la négociation collective. Ainsi, une convention ou un accord collectif doit définir précisément les emplois qui peuvent être pourvus par des contrats de travail intermittents. Cette exigence est interprétée strictement par la jurisprudence. La Cour de cassation a maintes fois rappelé que la convention ou l’accord doit désigner de manière très précise les emplois concernés (Cass. soc., 27 juin 2007, n° 06-41.818). Une simple mention générale ou une définition trop large des secteurs d’activité ne suffit pas. Les emplois typiquement visés sont ceux liés aux rythmes saisonniers (tourisme, agriculture), aux rythmes scolaires (formateurs, accompagnateurs) ou encore à l’activité du spectacle vivant. Pour l’employeur, la première étape est donc de vérifier si son accord de branche ou un accord d’entreprise identifie des postes compatibles avec ce dispositif.
La mise en place du travail intermittent
Le recours au contrat de travail intermittent est strictement encadré. Contrairement à d’autres formes d’organisation du temps de travail, il ne peut résulter d’une simple décision unilatérale de l’employeur ni même d’un simple accord contractuel avec le salarié. Sa validité repose impérativement sur un socle collectif.
Le rôle essentiel de la convention ou de l’accord collectif
La mise en place du travail intermittent est subordonnée à la conclusion d’une convention ou d’un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, d’une convention ou d’un accord de branche étendu. Ce texte collectif est la pierre angulaire du dispositif. C’est lui qui doit, comme nous l’avons vu, identifier les emplois permanents susceptibles d’être pourvus sous cette forme contractuelle. L’absence d’un tel accord rend illicite tout contrat intermittent. La sanction est sévère et automatique : la requalification du contrat en contrat de travail à temps complet (Cass. soc., 8 juin 2011, n° 10-15.087). Cette règle protège l’entreprise d’un usage détourné du dispositif et garantit que son utilisation correspond à une réalité économique et organisationnelle reconnue par les partenaires sociaux. Un accord collectif conclu au sein d’une unité économique et sociale (UES) est également considéré comme un accord d’entreprise valide pour mettre en place ce type de contrat (Cass. soc., 13 mars 2024, n° 22-14.004).
Les dispositifs expérimentaux et leur portée
Par le passé, le législateur a tenté d’assouplir les conditions de recours au CTI par des dispositifs expérimentaux. Une loi de 2013 avait par exemple autorisé, à titre temporaire, les entreprises de moins de 50 salariés de certains secteurs à y recourir après une simple information des délégués du personnel. De même, une loi de 2016 avait ouvert cette possibilité pour les emplois à caractère saisonnier dans des branches spécifiques. Ces expérimentations, aujourd’hui terminées, témoignent d’une volonté de tester une plus grande souplesse. Cependant, il convient de rester prudent : ces dispositifs dérogatoires étaient limités dans le temps et dans leur champ d’application. Le principe demeure une mise en place fondée sur un accord collectif en bonne et due forme. Se reposer sur un dispositif expérimental qui n’est plus en vigueur exposerait l’entreprise au même risque de requalification.
Contenu et particularités du contrat de travail intermittent
Le contrat de travail intermittent doit être constaté par écrit. Sa rédaction exige une attention particulière, car l’omission de certaines mentions obligatoires peut fragiliser considérablement sa validité et entraîner de lourdes conséquences pour l’employeur.
Les mentions obligatoires du contrat de travail intermittent
Conformément à l’article L. 3123-34 du Code du travail, le CTI doit impérativement mentionner :
- La qualification du salarié.
- Les éléments de la rémunération.
- La durée annuelle minimale de travail. C’est un plancher en deçà duquel l’employeur ne peut descendre, sauf accord du salarié.
- Les périodes de travail.
- La répartition des heures de travail à l’intérieur de ces périodes.
L’absence de la mention des horaires de travail ou de leur répartition au sein des périodes travaillées est une cause de requalification du contrat en temps complet (Cass. soc., 25 mai 2016, n° 15-12.332). S’agissant de l’absence de la durée minimale annuelle, la sanction n’est pas automatique. Il s’agit d’une présomption simple de contrat à temps plein, que l’employeur peut renverser. Pour cela, il devra prouver la durée minimale qui avait été convenue et, surtout, démontrer que le salarié connaissait à l’avance son rythme de travail et qu’il n’était pas contraint de se tenir en permanence à sa disposition (Cass. soc., 7 juill. 2015, n° 13-17.195).
Les adaptations conventionnelles et leurs limites
Dans certains secteurs d’activité dont la nature ne permet pas de fixer avec une grande précision les périodes de travail et la répartition des horaires (comme le spectacle vivant), la convention ou l’accord collectif peut prévoir des adaptations. Le texte collectif doit alors définir les conditions dans lesquelles le salarié peut refuser les dates et horaires qui lui sont proposés. Par ailleurs, pour simplifier la gestion de la paie face aux variations d’activité, l’accord collectif peut autoriser le lissage de la rémunération sur l’année. Cette faculté, prévue à l’article L. 3123-38 du Code du travail, permet de verser un salaire mensuel identique, indépendant du nombre d’heures réellement travaillées chaque mois.
La durée et les horaires de travail : règles et exceptions
Pendant les périodes d’activité, la durée du travail du salarié intermittent peut tout à fait atteindre, voire dépasser, la durée légale hebdomadaire de 35 heures. Dans ce cas, les heures effectuées au-delà de ce seuil sont des heures supplémentaires et doivent être traitées comme telles, avec les majorations correspondantes. La jurisprudence a clarifié que, sauf disposition conventionnelle contraire, le travail intermittent n’est pas un régime d’annualisation. Le décompte des heures supplémentaires doit donc s’effectuer dans le cadre de la semaine civile (Cass. soc., 28 mai 2014, n° 13-12.087). Une autre règle fondamentale concerne le dépassement de la durée annuelle minimale fixée au contrat. L’article L. 3123-35 du Code du travail précise que les heures effectuées au-delà de ce minimum ne peuvent excéder le tiers de cette durée, sauf si le salarié donne son accord.
La requalification du contrat intermittent en contrat à temps complet
Le non-respect du cadre légal et conventionnel très strict du contrat de travail intermittent expose l’employeur à un risque contentieux majeur : sa requalification en contrat de travail à temps complet. Les conséquences financières peuvent être significatives, rendant indispensable une gestion rigoureuse de ce type de contrat.
Les causes de requalification en contrat à temps complet
La jurisprudence a identifié plusieurs situations pouvant conduire à la requalification. L’employeur doit être particulièrement vigilant sur les points suivants :
- L’absence d’accord collectif : C’est la cause la plus radicale. Un contrat intermittent conclu sans convention ou accord collectif (d’entreprise, d’établissement ou de branche étendu) qui l’autorise et en définit les emplois est illicite et systématiquement requalifié en CDI à temps complet (Cass. soc., 8 juin 2011, n° 10-15.087).
- L’absence de mentions obligatoires au contrat : L’oubli de clauses essentielles, comme la répartition des heures de travail à l’intérieur des périodes travaillées, entraîne la requalification (Cass. soc., 25 mai 2016, n° 15-12.332).
- L’impossibilité pour le salarié de prévoir son rythme de travail : Si, en pratique, les horaires et les périodes de travail varient constamment de manière imprévisible, plaçant le salarié dans l’obligation de se tenir en permanence à la disposition de l’employeur, le contrat perd sa nature intermittente. Cette situation est assimilable aux causes de requalification du contrat à temps partiel et justifie une requalification en temps plein.
Les conséquences juridiques de la requalification (rappel de salaire, dommages-intérêts)
Lorsqu’un juge prononce la requalification du CTI en contrat à temps complet, l’employeur est réputé avoir employé le salarié sur la base d’un temps plein depuis le début de la relation contractuelle. La principale conséquence est d’ordre financier. Le salarié est en droit de réclamer un rappel de salaire sur la base de la durée légale (ou conventionnelle) du travail, ainsi que les congés payés afférents, déduction faite des salaires déjà perçus. Le salarié peut également solliciter des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la précarité et de l’incertitude dans lesquelles il a été maintenu. La requalification place l’employeur dans une situation délicate, car il devient débiteur d’une obligation de fournir du travail pour un temps complet.
La preuve de l’employeur pour éviter la requalification
Dans certains cas, notamment en l’absence de certaines mentions au contrat, la requalification n’est qu’une présomption simple. L’employeur peut la combattre. Pour ce faire, il doit apporter une double preuve (Cass. soc., 7 juill. 2015, n° 13-17.195) : d’une part, la durée annuelle minimale de travail qui avait été convenue avec le salarié ; d’autre part, et c’est le point le plus important, que le salarié connaissait effectivement ses jours et horaires de travail et n’était pas contraint de rester constamment disponible. Des plannings communiqués à l’avance, des échanges écrits ou tout autre élément factuel peuvent servir de preuve. Même après une requalification, l’employeur peut encore limiter l’impact financier. S’il parvient à démontrer qu’il a bien proposé au salarié du travail correspondant à un temps plein après la requalification et que ce dernier a refusé de l’exécuter ou de se tenir à sa disposition, il peut échapper au paiement du rappel de salaire (Cass. soc., 21 sept. 2022, n° 20-17.627). La tenue de registres précis et une communication claire avec le salarié sont donc des remparts indispensables.
Le contrat de travail intermittent est un instrument juridique puissant mais exigeant. Sa mise en œuvre réussie dépend d’une adéquation parfaite entre les besoins de l’entreprise et un cadre conventionnel et contractuel irréprochable. Pour sécuriser vos pratiques et tirer le meilleur parti de ce dispositif, contactez notre cabinet d’avocats pour un accompagnement expert en droit du travail.
Sources
- Code du travail : articles L. 3123-34 à L. 3123-38 (Contrat de travail intermittent)
- Code du travail : articles L. 3121-26 et suivants (Heures supplémentaires)