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La mise à pied conservatoire d’un salarié protégé est une mesure d’urgence qu’un employeur peut être amené à prendre face à une faute d’une gravité exceptionnelle. Toutefois, cette procédure est particulièrement encadrée et se situe à la croisée des chemins entre le droit disciplinaire et le statut protecteur des représentants du personnel. Une erreur dans sa mise en œuvre peut avoir des conséquences lourdes pour l’entreprise, allant de la nullité de la mesure jusqu’au délit d’entrave. Cette mesure s’inscrit dans le cadre plus large de la procédure de licenciement administratif des salariés protégés, dont elle constitue une étape préliminaire et critique. Notre cabinet accompagne les employeurs pour sécuriser chaque phase de cette procédure délicate.

Définition et conditions de la mise à pied conservatoire

Avant d’engager une procédure, il est essentiel de bien distinguer la mise à pied conservatoire de la mise à pied disciplinaire. La mise à pied disciplinaire est une sanction en soi, qui doit être prévue au règlement intérieur et dont la durée est déterminée. Elle punit un comportement fautif du salarié.

La mise à pied conservatoire, quant à elle, n’est pas une sanction. Il s’agit d’une mesure provisoire et préventive, régie par les articles L. 2421-1 et L. 2421-3 du Code du travail, qui permet à l’employeur d’écarter immédiatement un salarié de l’entreprise dans l’attente d’une décision sur une éventuelle sanction, généralement un licenciement. Pour un salarié protégé, son prononcé est strictement conditionné par l’existence d’une faute grave. La faute grave est définie comme celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, même pendant la durée de la procédure. Concrètement, les faits reprochés doivent être d’une importance telle que le départ immédiat du salarié est la seule solution envisageable pour préserver le bon fonctionnement de l’entreprise.

Cette mesure est donc justifiée par l’urgence et la gravité des faits. L’employeur qui y recourt doit impérativement et sans délai engager la procédure de licenciement, car la mise à pied n’a pour but que de couvrir cette période d’attente.

La procédure spécifique de mise à pied conservatoire du salarié protégé

La mise à pied conservatoire d’un salarié protégé obéit à des délais et des formalités stricts qui varient selon la nature du mandat exercé. Le non-respect de cette procédure, même si elle n’entraîne pas automatiquement la nullité de la demande de licenciement, peut être sanctionné par le juge administratif qui contrôle la régularité de la décision de l’inspecteur du travail.

Pour les délégués syndicaux et mandats assimilés

Lorsqu’un délégué syndical, un salarié mandaté ou un membre de la délégation du personnel au CSE interentreprises commet une faute grave, la procédure à suivre est la suivante :

  • Notification à l’inspecteur du travail : L’employeur doit notifier la décision de mise à pied à l’inspecteur du travail dans un délai de 48 heures à compter de sa prise d’effet. Cette notification doit être motivée, c’est-à-dire exposer les faits constitutifs de la faute grave. Le non-respect de ce délai entraîne la nullité de la mise à pied elle-même.
  • Demande d’autorisation de licenciement : Si l’avis du CSE n’est pas requis, l’employeur doit présenter la demande d’autorisation de licenciement dans un délai de 8 jours à compter de la date de la mise à pied.

Pour les membres du CSE et représentants de proximité

Pour les membres élus de la délégation du personnel au CSE (titulaires et suppléants) et les représentants de proximité, la procédure est différente :

  • Consultation du CSE : L’employeur doit convoquer le comité social et économique pour recueillir son avis sur le projet de licenciement dans un délai de 10 jours à compter de la mise à pied. Le salarié protégé doit être entendu par le comité lors de cette réunion.
  • Demande d’autorisation de licenciement : La demande d’autorisation de licenciement doit être adressée à l’inspecteur du travail dans les 48 heures suivant la délibération du CSE.

Un délai excessif entre la mise à pied et l’engagement de la procédure de licenciement peut être considéré comme une irrégularité. Le Conseil d’État juge en effet que, si les délais ne sont pas prescrits à peine de nullité, l’employeur est tenu de présenter sa demande dans un délai aussi court que possible, eu égard à la gravité de la mesure.

Effets de la mise à pied conservatoire sur le contrat et le mandat

La mise à pied conservatoire a des conséquences immédiates sur la relation de travail, mais elle n’anéantit pas les prérogatives du représentant du personnel.

Suspension du contrat de travail

La première conséquence directe de la mise à pied conservatoire est la suspension du contrat de travail. Le salarié est écarté de l’entreprise et cesse de fournir sa prestation de travail. En contrepartie, l’employeur n’est plus tenu de verser la rémunération correspondante pendant toute la durée de la mise à pied. Cette suspension prend fin avec la décision de l’inspecteur du travail.

Maintien du mandat représentatif

Un point essentiel, et qui a fait l’objet d’une évolution jurisprudentielle, concerne le sort du mandat. La Cour de cassation considère désormais de manière constante que la mise à pied conservatoire, tout comme la mise à pied disciplinaire, ne suspend pas le mandat du salarié protégé. L’intéressé conserve donc ses prérogatives de représentant du personnel. Il peut, pendant cette période, continuer à utiliser ses heures de délégation, à circuler dans l’entreprise pour exercer sa mission et à communiquer avec les autres salariés. Lui interdire l’accès à l’entreprise ou l’exercice de son mandat serait constitutif d’un délit d’entrave.

Conséquences juridiques de la décision de l’inspecteur du travail

La décision de l’inspecteur du travail, qu’elle soit d’autorisation ou de refus, scelle le sort de la mise à pied conservatoire et détermine les droits et obligations de chaque partie.

En cas de refus d’autorisation de licenciement

Si l’inspecteur du travail refuse d’autoriser le licenciement, la mise à pied est annulée de plein droit. Cette annulation entraîne des conséquences immédiates pour l’employeur :

  • Réintégration du salarié : L’employeur a l’obligation de réintégrer immédiatement le salarié dans son emploi ou, si celui-ci n’existe plus, dans un emploi équivalent. Le refus de réintégration constitue un trouble manifestement illicite qui peut être sanctionné par le juge des référés.
  • Paiement des salaires : Les effets de la mise à pied étant rétroactivement anéantis, l’employeur doit verser au salarié la totalité de la rémunération qu’il aurait perçue s’il avait travaillé pendant cette période.

En cas d’autorisation de licenciement

Si l’inspecteur du travail autorise le licenciement, l’employeur peut alors procéder à la notification de la rupture du contrat de travail. L’autorisation administrative ne constitue pas le licenciement lui-même ; elle ne fait que lever l’obstacle lié au statut protecteur. Le délai d’un mois pour notifier un licenciement disciplinaire, prévu à l’article L. 1332-2 du Code du travail, commence à courir non pas du jour de l’entretien préalable, mais du jour où l’employeur reçoit la notification de l’autorisation de l’inspecteur du travail.

Les risques de délit d’entrave pour l’employeur

Le recours à la mise à pied conservatoire d’un salarié protégé doit être manié avec la plus grande prudence, car une utilisation abusive ou irrégulière expose l’employeur à des sanctions pénales au titre du délit d’entrave. L’intention de nuire n’a pas besoin d’être caractérisée ; la simple violation volontaire des règles suffit.

Le délit d’entrave peut être constitué dans plusieurs situations :

  • L’absence de faute grave : Prononcer une mise à pied conservatoire sans pouvoir justifier d’une faute d’une gravité suffisante peut être qualifié de mesure de mauvaise foi constitutive du délit.
  • Le détournement de procédure : Utiliser la mise à pied pour écarter un représentant du personnel de l’entreprise pour des motifs liés à son mandat et non à une faute réelle.
  • Le refus de réintégration : S’opposer à la réintégration du salarié après un refus d’autorisation de l’inspecteur du travail est une entrave directe à l’exercice des fonctions représentatives.

La mise à pied conservatoire est un outil juridique puissant mais risqué. Elle exige une appréciation rigoureuse de la gravité de la faute et le respect scrupuleux d’une procédure complexe. Pour sécuriser vos décisions et bénéficier d’une stratégie adaptée, notre cabinet, expert en matière de mise à pied et de licenciement, se tient à votre disposition pour vous accompagner et défendre les intérêts de votre entreprise.

Sources

  • Code du travail
  • Code de commerce
  • Code de justice administrative