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Le harcèlement au travail représente l’une des situations les plus complexes et les plus lourdes de conséquences pour une entreprise. Au-delà de l’impact humain sur les équipes, la responsabilité de l’employeur est systématiquement engagée, avec des répercussions financières et juridiques potentiellement très importantes. Comprendre les mécanismes de cette responsabilité, de l’obligation de sécurité à la réparation des préjudices, est une nécessité pour tout dirigeant souhaitant protéger son entreprise. La jurisprudence a considérablement évolué, passant d’une logique de responsabilité quasi automatique à une prise en compte des actions concrètes menées par l’employeur. Notre cabinet vous accompagne pour naviguer dans ce cadre juridique exigeant, que ce soit pour prévenir les risques ou pour gérer un contentieux déclaré. Pour une vision d’ensemble, notre guide juridique complet sur le harcèlement, l’agissement sexiste et le stress au travail constitue une première ressource. En cas de situation avérée menant à une rupture de contrat, l’assistance d’un avocat pour sécuriser la procédure de licenciement est indispensable.

L’obligation de sécurité de l’employeur : de la garantie absolue à la prise en compte des mesures de prévention

L’obligation de sécurité, pierre angulaire de la protection de la santé physique et mentale des salariés, a connu une transformation notable. Initialement perçue comme une garantie absolue, sa mise en œuvre est aujourd’hui plus nuancée, laissant une place, bien que limitée, à l’exonération de l’employeur diligent.

L’évolution jurisprudentielle et l’obligation de sécurité de résultat

Pendant de nombreuses années, la Cour de cassation a imposé à l’employeur une obligation de sécurité de résultat très stricte en matière de harcèlement moral et sexuel. Le fondement de cette position était clair : dès lors qu’un salarié était victime de harcèlement au sein de l’entreprise, l’employeur avait nécessairement manqué à son obligation. Peu importait qu’il n’ait commis aucune faute personnelle ou même qu’il ait pris des mesures pour faire cesser les agissements après leur signalement. La seule survenance du dommage suffisait à engager sa responsabilité. Cette jurisprudence, inspirée des arrêts « Amiante » de 2002, considérait que l’absence de faute de l’employeur ne pouvait l’exonérer. Par conséquent, la mise en place de mesures, même rapides, pour mettre fin à une situation de harcèlement était jugée insuffisante pour exclure la responsabilité d’un harcèlement antérieur. La responsabilité de l’employeur était quasi automatique.

L’importance des mesures de prévention pour l’exonération

Un revirement majeur, initié par l’arrêt « Air France » du 25 novembre 2015 et confirmé en matière de harcèlement par un arrêt du 1er juin 2016, a fait évoluer cette logique. La Cour de cassation a admis qu’un employeur peut s’exonérer de sa responsabilité s’il démontre avoir rempli deux conditions cumulatives. D’abord, il doit prouver avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail. Ensuite, informé de l’existence de faits de harcèlement, il doit avoir pris les mesures immédiates et adaptées pour les faire cesser. L’obligation de sécurité n’est donc plus une obligation de résultat absolue mais s’apparente désormais à une obligation de moyens renforcée. La charge de la preuve pèse intégralement sur l’employeur. Il ne suffit plus de réagir après coup ; il faut démontrer avoir agi en amont, de manière proactive. Cela passe par l’élaboration et la mise à jour du document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), des actions de formation et d’information, la mise en place de procédures d’alerte claires et la réactivité face à tout signalement.

La responsabilité personnelle du salarié auteur du harcèlement

Si la responsabilité de l’employeur est systématiquement recherchée, il ne faut pas oublier que le salarié auteur des faits de harcèlement engage également sa propre responsabilité, sur les plans civil et pénal. Cette responsabilité coexiste avec celle de l’entreprise, mais répond à des logiques distinctes.

Distinctions avec la responsabilité du commettant

En droit commun, l’employeur, en tant que « commettant », est responsable des dommages causés par ses « préposés » (ses salariés) dans l’exercice de leurs fonctions, comme le prévoit l’article 1242 du Code civil. Ce mécanisme offre en principe une immunité civile au salarié, la victime devant se tourner vers l’employeur pour obtenir réparation. Cependant, en matière de harcèlement, la jurisprudence a adapté cette règle. La Cour de cassation considère que le salarié auteur de harcèlement engage sa responsabilité personnelle envers sa victime. Ce n’est pas sur le terrain de l’abus de fonction que sa responsabilité est retenue, mais sur le fondement de l’article L. 4122-1 du Code du travail, qui impose à chaque travailleur de prendre soin de la santé et de la sécurité des autres personnes concernées par ses actes. En commettant des actes de harcèlement, le salarié viole directement cette obligation légale, ce qui justifie que sa responsabilité personnelle soit engagée, parallèlement à celle de l’employeur au titre de son obligation de sécurité.

Les sanctions pénales et civiles

Le salarié auteur d’agissements de harcèlement est passible d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave. Au-delà de la réponse de l’entreprise, il s’expose à des poursuites judiciaires. Sur le plan pénal, le harcèlement moral est un délit puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, selon l’article 222-33-2 du Code pénal. Pour que le délit soit constitué, l’élément intentionnel doit être prouvé, contrairement à l’appréciation du harcèlement en droit du travail. Sur le plan civil, la victime peut demander au salarié auteur des faits la réparation de son préjudice. Cette action peut être menée devant le conseil de prud’hommes, qui est compétent pour connaître de l’entier dommage résultant du harcèlement, que l’action soit dirigée contre l’employeur, le salarié auteur des faits, ou les deux conjointement.

Le cumul d’indemnités : une réparation spécifique du préjudice

La question de la réparation financière du préjudice subi par la victime est un enjeu central pour l’employeur. La jurisprudence a clarifié que différents manquements pouvaient donner lieu à des indemnisations distinctes et cumulables, augmentant ainsi le risque financier pour l’entreprise.

Distinction entre la prohibition du harcèlement et le manquement à l’obligation de sécurité

La Cour de cassation opère une distinction fondamentale entre deux obligations distinctes pesant sur l’employeur. La première est l’interdiction des agissements de harcèlement moral, prévue par l’article L. 1152-1 du Code du travail. La seconde est l’obligation de prévention des risques professionnels, issue de l’article L. 4121-1 du même code. Ces deux obligations étant autonomes, un manquement à chacune d’elles peut causer des préjudices différents et ouvrir droit à des réparations spécifiques. Concrètement, un employeur peut être condamné à la fois pour n’avoir pas pu empêcher la survenance d’un harcèlement et pour ne pas avoir mis en place les mesures de prévention adéquates pour protéger la santé mentale du salarié. Un arrêt récent du 1er juin 2023 a confirmé que l’octroi de dommages-intérêts pour un licenciement nul lié à des faits de harcèlement n’empêche pas une demande distincte de dommages-intérêts pour le harcèlement moral lui-même.

Les différents types de préjudices indemnisables

La victime d’un harcèlement peut prétendre à plusieurs types d’indemnisation qui peuvent se cumuler :

  • L’indemnisation pour licenciement nul : Si le harcèlement a conduit à une inaptitude ou à une rupture du contrat de travail (licenciement, prise d’acte), cette rupture est nulle. Le salarié peut demander sa réintégration ou, à défaut, une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
  • Les dommages-intérêts pour harcèlement moral subi : Cette indemnité vise à réparer le préjudice moral directement lié aux agissements de harcèlement (souffrance, atteinte à la dignité).
  • Les dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité : Le salarié peut obtenir une réparation spécifique si l’employeur n’a pas mis en place les mesures de prévention nécessaires, même en l’absence de harcèlement avéré. L’inertie de l’employeur face à une situation de souffrance au travail signalée suffit à caractériser ce manquement.

Ce cumul potentiel souligne l’importance pour l’employeur non seulement de réagir à une situation de harcèlement, mais aussi de pouvoir prouver l’existence d’une politique de prévention active et effective.

Harcèlement et législation des accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP)

Lorsque le harcèlement moral entraîne une dégradation avérée de la santé du salarié, les conséquences peuvent être requalifiées en accident du travail ou en maladie professionnelle, ce qui active un régime de responsabilité aggravée pour l’employeur, notamment par le biais de la faute inexcusable.

La reconnaissance des troubles psychologiques (dépression, suicide, burnout)

Un trouble psychologique, comme un état dépressif sévère, un burnout ou même une tentative de suicide, peut être reconnu comme un accident du travail s’il survient au temps et au lieu du travail et qu’un lien peut être établi avec un événement professionnel soudain (un entretien violent, une annonce brutale, etc.). La présomption d’imputabilité de l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale s’applique alors. Si la dégradation de la santé est progressive, la reconnaissance en tant que maladie professionnelle est possible. Le harcèlement ne figurant pas dans les tableaux de maladies professionnelles, la victime doit recourir à la procédure complémentaire et prouver que sa pathologie est essentiellement et directement causée par le travail habituel et qu’elle a entraîné une incapacité permanente d’au moins 25 %. La reconnaissance au titre de la législation AT/MP a des conséquences financières directes pour l’entreprise, notamment sur son taux de cotisation.

La faute inexcusable de l’employeur et ses conséquences

Si l’accident du travail ou la maladie professionnelle résulte de la « faute inexcusable » de l’employeur, celui-ci s’expose à des sanctions financières très lourdes. La faute inexcusable est reconnue lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel le salarié était exposé et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. En matière de harcèlement, la conscience du danger est souvent caractérisée dès lors que des alertes ont été émises par le salarié, les représentants du personnel ou le médecin du travail. Le manquement à l’obligation de sécurité de prévention suffit alors à établir la faute. Les conséquences pour l’employeur sont multiples : une majoration de la rente versée à la victime par la Caisse primaire d’assurance maladie (qui se retourne ensuite contre l’employeur), et la réparation intégrale des préjudices subis par le salarié qui ne sont pas couverts par la rente (souffrances physiques et morales, préjudice d’agrément, préjudice esthétique, etc.).

La gestion du harcèlement au travail exige une vigilance constante et une politique de prévention structurée. Chaque manquement, qu’il soit lié à la prévention, à la réaction face à des faits avérés ou à la gestion d’une rupture consécutive, expose l’entreprise à des risques juridiques et financiers cumulatifs. Pour sécuriser vos procédures et défendre au mieux les intérêts de votre entreprise, l’accompagnement par un avocat expert en droit du travail est une démarche stratégique. Notre cabinet est à votre disposition pour analyser votre situation et vous proposer des solutions adaptées, notamment en cas de contentieux prud’homal.

Sources

  • Code du travail
  • Code pénal
  • Code civil
  • Code de la sécurité sociale