Naviguer dans les cadres juridiques du prêt de personnel peut s’avérer complexe pour une entreprise. Si le principe général interdit toute opération de fourniture de main-d’œuvre à but lucratif, le législateur a prévu plusieurs dispositifs dérogatoires, chacun répondant à des besoins spécifiques et obéissant à des règles distinctes. Ces mécanismes, allant du prêt non lucratif encadré entre PME et grands groupes aux entreprises de travail à temps partagé, en passant par la prestation de service, représentent des leviers de flexibilité et de collaboration. Toutefois, une mauvaise qualification ou le non-respect du formalisme expose l’employeur à des risques de sanctions. Comprendre ces régimes spécifiques est donc essentiel pour sécuriser ses pratiques, un enjeu que nous explorons en détail dans notre guide juridique complet sur le prêt de main-d’œuvre et le marchandage.
Le prêt de personnel à but non lucratif : cadre général
Le prêt de main-d’œuvre est, par principe, licite lorsqu’il ne poursuit aucun but lucratif. Cette condition est au cœur du dispositif général prévu par l’article L. 8241-1 du Code du travail. L’opération est considérée comme non lucrative lorsque l’entreprise prêteuse facture à l’entreprise utilisatrice uniquement les salaires versés au salarié, les charges sociales y afférentes et les frais professionnels remboursés à l’intéressé. Toute facturation excédant ces montants, même modeste, pourrait être interprétée comme la recherche d’un gain et faire basculer l’opération dans l’illicéité. Il est impératif de distinguer cette mise à disposition encadrée d’une prestation de service. La prestation de service implique un savoir-faire spécifique, l’exécution d’une tâche définie et le maintien du lien de subordination avec le prestataire, alors que le prêt de personnel se limite à la mise à disposition de compétences sans transfert d’autorité hiérarchique permanent.
Les règles spécifiques aux jeunes entreprises, PME et grandes entreprises
Conscient que le prêt de compétences peut être un outil de développement et de partenariat stratégique, le législateur a instauré un régime dérogatoire pour faciliter les échanges entre grandes entreprises et structures de plus petite taille. Ce dispositif assouplit certaines conditions du cadre général, notamment la notion de but non lucratif.
Les entreprises concernées par ce dispositif dérogatoire
Ce régime spécifique, encadré par l’article L. 8241-3 du Code du travail, s’applique aux opérations de prêt de main-d’œuvre entre deux types d’acteurs bien définis. D’une part, l’entreprise prêteuse doit être une grande entreprise, c’est-à-dire compter au moins 5 000 salariés ou appartenir à un groupe de cette taille. D’autre part, l’entreprise utilisatrice doit être une jeune entreprise de moins de huit ans d’existence ou une petite et moyenne entreprise (PME) employant moins de 250 salariés. Ce cadre vise à permettre aux PME et jeunes pousses de bénéficier temporairement de l’expertise de salariés de grands groupes pour favoriser leur croissance, l’amélioration des qualifications ou la constitution de partenariats. Il est à noter que ce dispositif est exclu pour les prêts de personnel au sein d’un même groupe.
Modalités simplifiées concernant le but non lucratif et la facturation
La principale dérogation de ce régime concerne la notion de but lucratif. Contrairement au cadre général, une opération de prêt de personnel entre une grande entreprise et une PME ou une jeune entreprise est réputée non lucrative même si le montant facturé par l’entreprise prêteuse est inférieur aux coûts réels (salaires, charges, frais). La mise à disposition peut même être réalisée à titre gratuit, c’est-à-dire avec une facturation nulle. Cet assouplissement majeur permet à la grande entreprise de soutenir activement une plus petite structure sans craindre une requalification en prêt de main-d’œuvre illicite. En revanche, la sur-facturation, qui générerait un bénéfice pour l’entreprise prêteuse, reste prohibée et ferait basculer l’opération dans l’illégalité.
Formalités : convention de mise à disposition et consentement du salarié
Même dans ce cadre dérogatoire, le formalisme reste une condition de validité et de sécurité juridique. Une convention de mise à disposition doit être conclue entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice. Ce document doit préciser la durée de l’opération, qui ne peut excéder deux ans, l’identité et la qualification du salarié, ainsi que le mode de détermination des sommes qui seront facturées. De plus, le consentement du salarié est indispensable. Il doit formaliser son accord par la signature d’un avenant à son contrat de travail. Cet avenant précise notamment les tâches confiées, le lieu et les horaires de travail au sein de l’entreprise utilisatrice. Le refus du salarié ne peut en aucun cas justifier une sanction ou un licenciement.
Les entreprises de travail à temps partagé (ETTP) : un dispositif dédié
Les entreprises de travail à temps partagé (ETTP) constituent une autre exception légale au principe d’interdiction du prêt de main-d’œuvre à but lucratif. Ce dispositif a été conçu pour répondre aux besoins de recrutement des entreprises qui, en raison de leur taille ou de leurs moyens, ne peuvent embaucher des experts à temps plein.
Définition et objectif des ETTP
Une entreprise de travail à temps partagé a pour activité exclusive de mettre à disposition d’entreprises clientes du personnel qualifié, pour des missions ponctuelles ou régulières. Le salarié de l’ETTP est lié par un contrat de travail à durée indéterminée (CDI), ce qui lui assure une stabilité d’emploi, tout en intervenant auprès de différentes entreprises utilisatrices. Ce modèle se distingue clairement de l’intérim, car il n’est pas limité à des cas de recours spécifiques, et du portage salarial, où le consultant doit trouver lui-même ses missions. L’objectif est d’offrir une solution de mutualisation des compétences au profit d’un tissu économique, souvent composé de TPE/PME.
Les spécificités du contrat de mise à disposition et du contrat de travail
Le fonctionnement des ETTP repose sur une relation tripartite. Le salarié signe un contrat de travail, réputé à durée indéterminée, avec l’ETTP. Ce contrat définit les qualifications, les modalités des missions, et garantit une rémunération mensuelle minimale, même pendant les périodes d’intermission. Parallèlement, pour chaque mission, une convention de mise à disposition est signée entre l’ETTP et l’entreprise cliente. Elle détaille la nature de la mission, sa durée, les caractéristiques du poste, et la rémunération de référence. Les missions peuvent être à temps plein ou s’inscrire dans un cadre de temps partiel et de travail intermittent, offrant une grande souplesse aux entreprises utilisatrices.
Rémunération et conditions de travail des salariés mis à disposition
Le principe d’égalité de traitement est central dans le dispositif des ETTP. Le salarié mis à disposition doit percevoir une rémunération au moins égale à celle que percevrait, après période d’essai, un salarié de l’entreprise utilisatrice, sous contrat à durée indéterminée, de qualification équivalente et occupant le même poste. Pendant la durée de la mission, l’entreprise utilisatrice est responsable des conditions d’exécution du travail : durée du travail, hygiène, sécurité, jours fériés. Le salarié a également accès aux équipements collectifs de l’entreprise cliente, comme le restaurant d’entreprise ou les moyens de transport, dans les mêmes conditions que les salariés permanents.
Le cas particulier de la prestation de service : licéité du prêt lucratif non exclusif
La frontière entre un prêt de main-d’œuvre illicite et une prestation de service légale est parfois ténue, mais les critères de distinction sont bien établis. Une opération de mise à disposition de personnel peut être réalisée à but lucratif si elle n’est pas l’objet exclusif du contrat mais l’accessoire d’une prestation de service apportant un savoir-faire spécifique et distinct.
Distinction entre prêt illicite et prestation de service légale (savoir-faire spécifique, rémunération forfaitaire, subordination)
Pour qu’un contrat soit qualifié de prestation de service et non de prêt de main-d’œuvre illicite, plusieurs conditions doivent être réunies. Premièrement, le prestataire doit apporter un savoir-faire ou une expertise technique dont l’entreprise cliente ne dispose pas en interne. La simple fourniture de personnel pour des tâches standards que les salariés de l’entreprise utilisatrice pourraient accomplir ne suffit pas. Deuxièmement, la prestation doit être rémunérée de manière forfaitaire, en fonction d’un résultat ou d’une tâche à accomplir, et non en fonction du nombre d’heures travaillées ou du nombre de salariés mis à disposition. Une facturation au temps passé est un indice fort de prêt de main-d’œuvre déguisé. Enfin, et c’est le critère le plus déterminant, le prestataire de services doit conserver l’autorité hiérarchique sur ses salariés. Ces derniers doivent rester sous sa subordination, recevoir ses instructions et être soumis à son pouvoir disciplinaire. Si l’entreprise cliente exerce un contrôle direct et donne des ordres aux salariés mis à disposition, le risque de requalification en prêt de main-d’œuvre illicite est majeur, exposant les deux entreprises aux sanctions prévues par la loi.
L’obligation de vérification du donneur d’ordre pour éviter le travail dissimulé
Lorsqu’une entreprise a recours à un prestataire de services, elle endosse une responsabilité en tant que donneur d’ordre. Le Code du travail lui impose une obligation de vigilance pour prévenir le risque de travail dissimulé. Pour tout contrat d’un montant d’au moins 5 000 € hors taxes, le donneur d’ordre doit vérifier, lors de la conclusion du contrat puis tous les six mois, que son cocontractant est à jour de ses obligations de déclaration et de paiement des cotisations sociales. Pour ce faire, il doit se faire remettre une attestation de vigilance délivrée par l’URSSAF. Le manquement à cette obligation peut entraîner la solidarité financière du donneur d’ordre pour le paiement des impôts, taxes, cotisations sociales, et rémunérations dus par le sous-traitant en cas de verbalisation pour travail dissimulé.
Accompagnement juridique pour sécuriser vos opérations de prêt de personnel
La multiplicité des régimes applicables au prêt de personnel et la subtilité des critères de distinction entre les dispositifs légaux et les opérations illicites rendent indispensable une analyse juridique rigoureuse. Qu’il s’agisse de formaliser un prêt non lucratif entre une PME et un grand groupe, de recourir à une entreprise de travail à temps partagé ou de cadrer une prestation de service, chaque situation impose le respect de conditions de fond et de forme spécifiques. Une erreur de qualification ou une négligence dans la rédaction des conventions peut entraîner des conséquences financières et pénales importantes. Notre cabinet accompagne les employeurs pour auditer leurs pratiques, rédiger les documents contractuels (convention de mise à disposition, avenant au contrat de travail, contrat de prestation) et s’assurer de la conformité de leurs opérations. Une assistance pour la mise en place de prêts de personnel spécifiques permet de transformer une source de risque en un véritable levier de gestion des compétences.
La complexité des différents dispositifs de prêt de personnel exige une approche prudente et éclairée de la part de l’employeur. Pour sécuriser vos opérations et vous assurer de leur conformité, notre cabinet est à votre disposition pour analyser votre situation et vous proposer des solutions adaptées. N’hésitez pas à prendre contact avec notre équipe.
Sources
- Code du travail : articles L. 8241-1 à L. 8241-3 (Prêt de main-d’œuvre)
- Code du travail : articles L. 1252-1 à L. 1252-15 (Entreprises de travail à temps partagé)
- Code du travail : articles L. 8222-1 à L. 8222-5 (Obligations du donneur d’ordre)
- Code de commerce