Le prêt de main-d’œuvre peut apparaître comme une solution de flexibilité attractive pour un employeur cherchant à répondre à un besoin ponctuel de compétences. Mais cette souplesse apparente cache une réalité juridique complexe, où la frontière avec le délit de marchandage ou le prêt de main-d’œuvre illicite est parfois ténue. Une opération mal encadrée peut exposer l’entreprise à des sanctions pénales et financières significatives. Cet article a pour vocation de synthétiser les grands principes qui gouvernent ces pratiques, afin de vous permettre d’en comprendre les enjeux stratégiques et les risques. Pour une analyse détaillée de votre situation, notre cabinet propose un conseil juridique et un accompagnement par un avocat expert.
Qu’est-ce que le prêt de main-d’œuvre et le marchandage ?
Le prêt de main-d’œuvre consiste pour une entreprise (la prêteuse) à mettre un de ses salariés à la disposition d’une autre entreprise (l’utilisatrice) pour une durée déterminée. Le contrat de travail initial entre le salarié et son employeur n’est ni rompu, ni suspendu. Cette pratique, historiquement encadrée pour lutter contre l’exploitation des travailleurs, est par principe interdite lorsqu’elle poursuit un but lucratif. C’est cette notion de profit qui constitue la ligne de partage entre le licite et l’illicite.
Le principe d’interdiction et ses fondements
Le Code du travail pose une interdiction de principe sur toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif la fourniture de main-d’œuvre. Cette prohibition vise à empêcher que le travail humain soit traité comme une simple marchandise. Lorsque cette opération lucrative cause un préjudice au salarié ou vise à contourner l’application de dispositions légales ou conventionnelles, elle peut être qualifiée de délit de marchandage. Les risques encourus sont alors considérables, comme détaillé dans notre article sur les sanctions du prêt de main-d’œuvre illicite et du marchandage.
Distinctions clés : prêt de main-d’œuvre licite, portage salarial, intérim
Il est essentiel de ne pas confondre le prêt de main-d’œuvre avec d’autres formes d’organisation du travail. Le travail temporaire, ou intérim, est une exception légale à l’interdiction du prêt à but lucratif, strictement encadrée et réservée à des entreprises dédiées. De son côté, le portage salarial obéit à une logique différente où un professionnel autonome confie la gestion administrative de son activité à une société de portage. Pour une vision complète du cadre de l’intérim, vous pouvez consulter notre guide complet du travail temporaire.
Évolutions législatives et jurisprudentielles
La législation a progressivement assoupli le cadre, autorisant le prêt de main-d’œuvre à but non lucratif. La loi dite « Cherpion » de 2011 est venue en préciser les contours, faisant de ce dispositif un véritable outil de gestion des compétences entre entreprises, à condition que son organisation soit irréprochable. La jurisprudence, quant à elle, affine constamment la notion de but lucratif, l’étendant parfois à la simple économie réalisée par l’entreprise utilisatrice.
L’organisation du prêt de main-d’œuvre licite
Pour qu’une opération de mise à disposition de personnel soit légale, elle doit respecter un formalisme précis et répondre à une condition fondamentale : l’absence de but lucratif. L’objectif est de s’assurer que l’opération répond à un besoin de compétence et non à une simple logique de profit.
Les formalités indispensables : accord du salarié, avenant, convention de mise à disposition
Trois documents sont au cœur du dispositif. Premièrement, l’accord explicite du salarié est un prérequis absolu ; son refus ne peut jamais constituer une faute. Deuxièmement, cet accord est formalisé par un avenant à son contrat de travail, qui doit détailler les missions, le lieu et les horaires de travail. Enfin, une convention de mise à disposition doit être signée entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice, précisant notamment la durée de la mission et les modalités de facturation.
La condition d’absence de but lucratif : définition et limites
Le critère central de la licéité est l’absence de profit pour l’entreprise prêteuse. Celle-ci peut uniquement facturer à l’entreprise utilisatrice les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés. Toute facturation au-delà de ces sommes, même modique, peut faire basculer l’opération dans l’illégalité. Des régimes dérogatoires existent, notamment pour faciliter les synergies entre grands groupes et PME. Pour approfondir ces cas spécifiques, consultez notre article sur le prêt de personnel entre entreprises et ses règles spécifiques.
Le rôle du comité social et économique (CSE) : consultation et information
Les instances représentatives du personnel sont associées au processus. Le CSE de l’entreprise prêteuse doit être consulté avant la mise en œuvre de prêts de main-d’œuvre et informé des conventions signées. De même, le CSE de l’entreprise utilisatrice est consulté préalablement à l’accueil de salariés extérieurs. Cette transparence est une garantie du bon déroulement de l’opération.
Les effets du prêt de main-d’œuvre sur les relations individuelles et collectives
La mise à disposition d’un salarié ne le coupe pas de son entreprise d’origine, mais elle crée une relation de travail temporaire avec l’entreprise d’accueil, ce qui a des conséquences sur le plan individuel et collectif.
Maintien du lien de subordination et pouvoir de contrôle de l’entreprise utilisatrice
Pendant toute la durée de la mission, le salarié demeure sous la subordination juridique de son employeur initial, l’entreprise prêteuse. C’est elle qui conserve le pouvoir disciplinaire. Cependant, l’entreprise utilisatrice exerce un contrôle sur l’exécution des tâches et est responsable de l’organisation pratique du travail. Un équilibre doit être trouvé pour éviter tout risque de requalification en situation de co-emploi.
Droits et obligations des salariés prêtés (santé-sécurité, durée du travail, règlement intérieur, médecine du travail)
Le salarié prêté bénéficie des mêmes conditions de travail que les salariés de l’entreprise utilisatrice en matière de santé, de sécurité, de durée du travail ou d’accès aux équipements collectifs (restaurant d’entreprise, transports). Il est soumis au règlement intérieur de l’entreprise d’accueil pour ce qui concerne l’hygiène et la sécurité. Cette égalité de traitement est fondamentale pour garantir ses droits.
Prise en compte dans les effectifs et représentation du personnel (électorat, éligibilité, mandats syndicaux)
Sous certaines conditions, notamment une présence d’au moins un an, le salarié prêté est pris en compte dans le calcul des effectifs de l’entreprise utilisatrice. Il peut y exercer son droit de vote aux élections professionnelles, mais n’est pas éligible. Cette distinction vise à préserver la représentation des salariés permanents de l’entreprise.
L’extinction du prêt de main-d’œuvre
La fin de la mission est une étape clé qui doit être anticipée pour garantir un retour du salarié dans des conditions conformes au droit et préserver les intérêts de l’entreprise prêteuse.
Fin de la mission et retour du salarié dans l’entreprise prêteuse
À l’issue du prêt, le salarié doit retrouver son poste de travail ou un poste équivalent dans l’entreprise prêteuse, sans que sa carrière ou sa rémunération aient été affectées. Une période probatoire peut être prévue dans l’avenant pour permettre à chaque partie d’apprécier la pertinence de la mission. La fin de la mise à disposition, qu’elle intervienne à l’initiative de l’une des entreprises ou du salarié pendant la période probatoire, ne peut constituer un motif de sanction ou de licenciement.
Obligations spécifiques en cas de détachement international : le rapatriement
Lorsque la mise à disposition se fait au sein d’une filiale à l’étranger, des obligations spécifiques pèsent sur la société mère en France. En cas de licenciement par la filiale, la société mère a une obligation de rapatriement et de reclassement du salarié. Ce mécanisme protecteur est détaillé dans notre article sur le détachement de salariés et les obligations de l’employeur.
Faire appel à un avocat expert en droit du travail
Naviguer entre le prêt de main-d’œuvre licite, le marchandage et le travail dissimulé exige une expertise juridique fine. Que ce soit pour structurer une opération de mise à disposition, auditer vos contrats de sous-traitance ou vous défendre en cas de contrôle, l’accompagnement par un avocat est une nécessité stratégique pour sécuriser vos pratiques et protéger votre entreprise. Les sanctions financières et pénales peuvent être lourdes, et une simple erreur formelle peut suffire à vicier l’ensemble de l’opération. Notre cabinet vous offre un conseil juridique et un accompagnement par un avocat expert pour transformer ce qui pourrait être un risque en une opportunité de gestion maîtrisée de vos ressources humaines.
La distinction entre une prestation de services légitime et un prêt de main-d’œuvre illicite est souvent subtile. Pour une analyse approfondie de votre situation et sécuriser vos relations contractuelles, contactez notre cabinet.
Foire aux questions
Quelle est la différence principale entre le prêt de main-d’œuvre licite et le marchandage ?
La différence fondamentale réside dans le but lucratif et le préjudice causé au salarié. Le prêt de main-d’œuvre est licite s’il est à but non lucratif, tandis que le marchandage est une opération à but lucratif qui porte atteinte aux droits du salarié ou contourne la loi.
Un salarié peut-il refuser une mission de prêt de main-d’œuvre ?
Oui, l’accord du salarié est indispensable. Son refus d’accepter une mission de mise à disposition ne peut jamais être considéré comme une faute et ne peut justifier ni une sanction, ni un licenciement.
Qui est responsable en cas d’accident du travail d’un salarié prêté ?
L’entreprise prêteuse, en tant qu’employeur, reste tenue de son obligation de sécurité. Cependant, l’entreprise utilisatrice est responsable des conditions d’exécution du travail et doit garantir la santé et la sécurité du salarié dans ses locaux. Les deux entreprises peuvent voir leur responsabilité engagée.
Qu’est-ce que le délit de marchandage ?
Le délit de marchandage est une forme de prêt de main-d’œuvre illicite qui a pour effet de causer un préjudice au salarié (rémunération inférieure, perte d’avantages sociaux) ou d’éluder l’application des dispositions légales ou de la convention collective applicable.
Quelles sont les formalités obligatoires pour un prêt de main-d’œuvre légal ?
Trois documents sont requis : l’accord écrit du salarié, un avenant à son contrat de travail détaillant la mission, et une convention de mise à disposition signée entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice.
L’entreprise prêteuse peut-elle facturer des frais de gestion ?
La loi limite strictement la facturation au salaire, charges sociales et frais professionnels. La facturation de frais de gestion, même modérés, est risquée car la jurisprudence a tendance à y voir un but lucratif, rendant l’opération illicite.