Lorsqu’une entreprise traverse des difficultés financières pouvant mener à une procédure collective, la question du paiement des salaires devient une préoccupation majeure. Pour l’employeur, comprendre les mécanismes de protection des créances salariales est essentiel pour gérer la procédure de manière éclairée et sécurisée. Loin d’être un simple passif, cette gestion s’inscrit dans une stratégie globale de traitement des difficultés de l’entreprise en difficulté. Cet article vous offre une vue d’ensemble des privilèges de paiement et du rôle de l’Association pour la Garantie des Salaires (AGS), des dispositifs conçus pour protéger les salariés tout en encadrant les obligations de l’entreprise. Face à la complexité de ces procédures, l’assistance d’un avocat en droit des entreprises en difficulté est une ressource stratégique.
Introduction aux mécanismes de protection des créances salariales
La protection des créances salariales en cas de défaillance de l’employeur repose sur deux piliers : des privilèges qui leur confèrent une priorité de paiement sur les autres dettes de l’entreprise, et un système d’assurance obligatoire, l’AGS, qui intervient en relais lorsque les fonds propres sont insuffisants.
Nature et importance des créances salariales en droit des entreprises en difficulté
La rémunération due au salarié n’est pas une créance ordinaire. En raison de son caractère alimentaire, elle bénéficie d’un régime de faveur exceptionnel. La loi considère le salaire comme essentiel à la subsistance du salarié et de sa famille, c’est pourquoi, contrairement aux autres créanciers, les salariés sont dispensés de la procédure de déclaration de créance au passif de la procédure. Contrairement aux retenues sur salaire qu’un employeur peut opérer dans une situation normale, les créances dues au jour du jugement d’ouverture bénéficient d’un régime de protection exceptionnel.
Présentation générale des privilèges et de l’assurance AGS
Pour garantir leur paiement, la loi a institué plusieurs mécanismes. D’abord, les privilèges permettent aux salariés d’être payés avant d’autres créanciers sur les biens de l’employeur. On distingue le « superprivilège », qui assure un paiement quasi immédiat des salaires récents, et le « privilège général ». Ensuite, l’Association pour la gestion du régime de Garantie des Salaires (AGS) intervient comme un fonds de solidarité interprofessionnel, financé par les cotisations des employeurs, qui avance les fonds nécessaires.
Les privilèges de paiement des créances salariales en procédure collective
Les privilèges sont des sûretés légales qui classent les créances salariales à un rang prioritaire. Leur efficacité dépend cependant de l’existence d’actifs à réaliser au sein de la personne morale.
Le privilège général des salaires : étendue et bénéficiaires
Le privilège général, défini par le Code civil, porte sur l’ensemble des biens meubles et, à défaut, sur le patrimoine immobilier de l’employeur. Il garantit le paiement des rémunérations dues pour les six derniers mois de travail avant le jugement d’ouverture. Ce privilège bénéficie à toute personne liée par un contrat de travail, incluant les apprentis, à condition qu’un lien de subordination soit établi, assurant ainsi la protection de leur emploi.
Créances couvertes et exclues par le privilège général
Sont couvertes toutes les sommes ayant la nature de salaire ou d’accessoire, comme les indemnités de congés payés ou de préavis. Le privilège s’étend aussi à certaines indemnités de rupture. En revanche, certaines sommes en sont exclues. Parmi les sommes explicitement exclues du bénéfice du privilège général, on retrouve les créances liées à l’intéressement, qui ne sont pas considérées comme du salaire pur et suivent donc le régime des créanciers chirographaires.
Assiette et rang du privilège général des salaires
Bien que portant sur une assiette large, le privilège général des salaires n’occupe pas le premier rang. Ce rang de priorité, applicable dans le cadre de la distribution des fonds, est crucial car il détermine l’ordre de paiement face à d’autres créanciers qui, dans un contexte normal, pourraient engager une procédure de saisie sur salaire pour recouvrer leurs dettes.
Le super-privilège des salaires : priorité absolue et créances garanties
Le superprivilège a été conçu pour assurer un paiement rapide des créances salariales les plus vitales. Il garantit les rémunérations de toute nature dues pour les 60 derniers jours de travail, dans la limite d’un plafond mensuel. Ce privilège confère une priorité de paiement quasi absolue sur tous les autres créanciers, conformément aux dispositions du Code du travail.
Mise en œuvre et rang du super-privilège
Les créances couvertes par le superprivilège doivent être payées par l’administrateur judiciaire, le mandataire judiciaire ou le liquidateur dans les 10 jours suivant le jugement d’ouverture, sur les premiers fonds disponibles. Si la trésorerie de l’entreprise est insuffisante, l’AGS est sollicitée pour avancer ces sommes. L’AGS, une fois qu’elle a payé, est subrogée dans les droits des salariés et bénéficie à son tour de ce rang prioritaire.
Les créances salariales postérieures et leur traitement
Les salaires correspondant à un travail accompli après le jugement d’ouverture de la procédure bénéficient d’un régime de paiement préférentiel et ne sont pas traités comme des dettes antérieures.
Critères et exécution des créances salariales postérieures
Selon l’article L. 622-17 du Code de commerce, les créances nées après le jugement d’ouverture sont payées à leur échéance si elles répondent aux besoins de la procédure ou de la poursuite de l’activité. C’est le cas des salaires dus pendant la période d’observation. Le traitement de ces créances dépend de leur lien avec les besoins de la procédure ou la poursuite de l’exécution du contrat de travail, même si celui-ci est suspendu.
Paiement et rang des créances postérieures selon la procédure collective
En sauvegarde ou en redressement, ces créances sont payées à leur échéance. En liquidation judiciaire, elles bénéficient d’un rang de priorité élevé, juste après les créances superprivilégiées. Cependant, la garantie de l’AGS pour ces créances postérieures est limitée à des cas précis ; elle ne couvre pas les salaires dus pour la poursuite du contrat dans le cadre d’un plan de sauvegarde ou d’un plan de redressement si aucune liquidation n’est prononcée.
La garantie AGS : fonctionnement, créances couvertes et limites
L’AGS est le filet de sécurité ultime pour les salariés, intervenant lorsque les privilèges ne suffisent pas, faute de liquidités dans l’entreprise.
Principes fondamentaux et champ d’application de l’AGS
L’AGS est un régime d’assurance obligatoire financé par les cotisations de tous les employeurs, qu’il s’agisse d’une personne morale ou physique de droit privé. Elle garantit le paiement des sommes dues en exécution du contrat de travail en cas de procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire. La procédure de sauvegarde est en principe exclue pour les créances nées avant son ouverture.
Créances garanties par l’AGS : analyse détaillée
L’AGS couvre un large éventail de créances, notamment les salaires, primes et indemnités dus à la date du jugement d’ouverture. Elle garantit aussi les indemnités de rupture si le licenciement intervient pendant des périodes précises (période d’observation, mois suivant un plan de cession…). La garantie couvre également les dommages-intérêts pour manquement grave de l’employeur, qui se distinguent des sanctions pécuniaires interdites mais relèvent de la même logique de protection financière du salarié.
Créances non garanties par l’AGS : exclusions et limites
La garantie de l’AGS n’est pas illimitée. De nombreuses créances sont exclues de son champ. C’est le cas des sommes liées à des accords conclus moins de 18 mois avant l’ouverture de la procédure (période suspecte), de l’indemnité de clientèle pour les VRP, des frais de procédure engagés par le salarié, ou encore de certaines indemnités transactionnelles résultant d’un accord dont l’objet est de mettre fin à un litige.
Fonctionnement, financement et délais de paiement de l’AGS
Lorsqu’une entreprise est en procédure collective, le mandataire judiciaire établit un relevé des créances salariales qu’il dépose au greffe du tribunal. S’il constate une insuffisance de fonds, il transmet ce relevé à l’AGS, qui procède à l’avance des sommes après réception. Ces avances sont soumises à des plafonds globaux par salarié.
Contentieux et recours liés aux créances salariales et à la garantie AGS
L’établissement et le paiement des créances salariales peuvent donner lieu à des contestations, tant de la part du salarié que de l’AGS.
Vérification et contestation des créances salariales en procédure collective
Le mandataire judiciaire vérifie les créances salariales et établit des relevés visés par le juge-commissaire. Un salarié dont la créance serait omise ou incorrectement évaluée dispose d’un délai de deux mois à compter de la publicité des relevés pour saisir le conseil de prud’hommes. Au-delà, il pourrait être forclos, sauf à engager une action en relevé de forclusion.
Droits de recours de l’AGS et des salariés
L’AGS, en tant que garant, dispose d’un droit propre pour contester le principe et le montant des créances qu’elle avance, notamment en cas de suspicion de fraude, une solution qui vise à protéger les fonds de la solidarité interprofessionnelle. Pour contester une transaction, elle doit toutefois prouver son caractère frauduleux. Inversement, un salarié peut contester devant la juridiction prud’homale un refus de garantie opposé par l’AGS.
Actualités jurisprudentielles et législatives majeures
Le droit de la protection des créances salariales est en constante évolution, sous l’impulsion de la jurisprudence et des réformes, ce qui impose une veille juridique constante.
Évolutions de la couverture AGS pour les ruptures de contrat à l’initiative du salarié
Suite à une décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne, la Cour de cassation a opéré un revirement majeur. Par un arrêt très attendu, la Chambre sociale a jugé en janvier 2025 que l’AGS doit désormais couvrir les créances indemnitaires nées d’une prise d’acte ou d’une résiliation judiciaire aux torts de l’employeur. Cet arrêt rendu clarifie la situation lorsque les manquements de ce dernier sont jugés suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat.
Impact des réformes sur l’acquisition et l’indemnisation des congés payés en cas de maladie
La loi du 22 avril 2024 a mis le droit français en conformité avec le droit européen. Cette disposition prévoit que les périodes d’arrêt maladie, d’origine professionnelle ou non, sont assimilées à du temps de travail effectif pour l’acquisition de droits à congés payés. La loi encadre également le droit au report des congés qui n’ont pu être pris, avec une obligation d’information renforcée pour l’employeur.
Subrogation de l’AGS et rang des créances : précisions jurisprudentielles
Une fois qu’elle a payé les salariés, l’AGS est « subrogée » dans leurs droits. Un arrêt important de la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 17 janv. 2024) a récemment confirmé que l’AGS bénéficiait, à ce titre, du superprivilège et du droit d’être payée sur les premières rentrées de fonds, clarifiant ainsi son rang de priorité face aux autres créanciers.
Spécificités des employeurs dans l’UE/EEE et en période de crise
Le système de garantie s’adapte aux contextes transfrontaliers et aux situations exceptionnelles.
Garantie AGS pour les employeurs établis dans l’UE/EEE
Lorsqu’un employeur est établi dans un autre État membre de l’UE, la garantie des salaires est assurée par l’institution de l’État où le salarié exerce habituellement son travail. Ainsi, l’AGS française peut intervenir pour les salariés travaillant en France pour un employeur étranger en procédure d’insolvabilité ouverte dans son pays d’origine.
Adaptations exceptionnelles de la garantie AGS en périodes de crise (ex: COVID-19)
Des situations de crise, comme la pandémie de Covid-19, peuvent conduire le législateur à adapter temporairement les règles du droit commercial et social. Des ordonnances avaient par exemple prorogé certains délais de garantie de l’AGS pour tenir compte des contraintes sanitaires et pour soutenir les entreprises en difficulté.
La protection des créances salariales est un mécanisme complexe mais fondamental. Pour un employeur, anticiper et maîtriser ces règles est un gage de sécurité juridique. Si votre entreprise est confrontée à ces difficultés ou si vous êtes un salarié cherchant à faire valoir vos droits, un accompagnement par un avocat en droit des entreprises en difficulté est déterminant pour naviguer ces procédures complexes.
Foire aux questions
Qu’est-ce que le superprivilège des salaires ?
Le superprivilège est une garantie qui assure un paiement prioritaire et rapide des salaires et accessoires dus pour les 60 derniers jours de travail avant le jugement d’ouverture, sur les premiers fonds disponibles de l’entreprise.
Toutes les sommes dues au salarié sont-elles garanties par l’AGS ?
Non, la garantie de l’AGS est soumise à des conditions et des plafonds. Certaines créances, comme des dommages-intérêts pour résistance abusive, des sommes liées à des accords conclus en période suspecte, ou certaines primes supra-conventionnelles issues d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) pour un motif économique, sont exclues de sa couverture.
Le salarié doit-il déclarer ses créances de salaires ?
Non, contrairement aux autres créanciers, les salariés sont dispensés de déclarer leurs créances. C’est le mandataire judiciaire qui établit les relevés de créances salariales sur la base des informations de l’entreprise concernée.
L’AGS intervient-elle dans une procédure de sauvegarde ?
En principe, non pour les créances nées avant le jugement d’ouverture. La garantie AGS est principalement déclenchée en cas de procédure de redressement ou de procédure de liquidation judiciaire. En sauvegarde, son intervention est limitée à certaines créances nées après l’ouverture.
Que sont les créances salariales postérieures ?
Il s’agit des salaires dus pour un travail effectué après le jugement d’ouverture de la procédure. Elles doivent être payées à leur échéance et bénéficient d’un rang de priorité élevé, car elles sont nécessaires au maintien de l’activité.
Un employeur peut-il contester une créance salariale ?
Oui, l’employeur ou l’administrateur judiciaire peut contester le montant ou l’existence d’une créance lors de sa vérification par le mandataire judiciaire. De plus, l’AGS, en tant que garant, a également le pouvoir de contester les créances qu’on lui demande de couvrir.