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Si la plupart des employeurs connaissent la liste des onze jours fériés légaux applicables sur le territoire national, la gestion de ces journées peut se complexifier en présence de régimes dérogatoires. Fondés sur des héritages historiques, des commémorations spécifiques ou des traditions professionnelles, ces régimes particuliers créent des obligations distinctes pour les entreprises concernées. De l’Alsace-Lorraine aux départements d’outre-mer, en passant par certains métiers, la maîtrise de ces spécificités est un enjeu de gestion pour sécuriser ses pratiques et prévenir tout risque de contentieux. La complexité de ces régimes dérogatoires et leurs interactions avec d’autres pans du droit français rendent souvent nécessaire l’assistance d’un avocat expert en droit du travail pour garantir la conformité des pratiques de l’entreprise.

Introduction aux régimes dérogatoires des jours fériés

En droit du travail, le calendrier des jours fériés n’est pas uniforme sur l’ensemble du territoire français. À côté des onze fêtes légales prévues par le Code du travail (1er janvier, lundi de Pâques, Fête du Travail, Victoire de 1945, Ascension, lundi de Pentecôte, Fête nationale, Assomption, Toussaint, Armistice de 1918 et Noël), coexistent des régimes particuliers qui peuvent ajouter ou modifier les jours chômés pour certaines régions ou professions. Ces exceptions trouvent leur source dans une législation particulière, comme en Alsace et en Moselle, ou dans des lois spécifiques visant à commémorer des événements historiques majeurs, à l’image de l’abolition de l’esclavage dans les départements et régions d’outre-mer (DROM). Pour une entreprise, l’application de ces régimes dépend directement du lieu d’exécution du contrat de travail. Avant d’explorer ces cas spécifiques, ce guide propose de comprendre le régime juridique général des jours fériés qui forme le socle du droit commun en la matière.

Les spécificités des jours fériés en Alsace-Moselle

Les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle sont soumis à un régime juridique unique en matière de jours fériés, hérité de l’histoire. Cette législation particulière alsacienne-mosellane impose des obligations supplémentaires aux entreprises et offre des droits additionnels aux salariés, complexifiant la gestion du temps de travail par rapport au régime général. L’obligation de chômage, sous réserve des dérogations, y concerne désormais tous les jours fériés, y compris ceux de droit commun.

Fondements historiques et juridiques du droit local

Le régime particulier des jours fériés en Alsace et la Moselle est un héritage direct de la période de l’annexion à l’Empire allemand à la suite du traité de Francfort à la fin du XIXe siècle. Lors du retour de ces territoires à la France, certaines législations sociales jugées plus favorables aux salariés, dont l’origine remonte à des ordonnances impériales allemandes, ont été maintenues. Ces dispositions, désormais intégrées aux articles L. 3134-1 et suivants du Code du travail, continuent de s’appliquer et priment sur le droit commun lorsque leurs règles sont plus avantageuses pour le salarié. La prise en compte de cet héritage de la Première Guerre mondiale est fondamentale.

Jours fériés supplémentaires : Vendredi Saint et 26 décembre

La législation locale instaure deux jours fériés supplémentaires qui s’ajoutent à la liste nationale. Il s’agit du Vendredi Saint et la Saint-Étienne (ou lendemain de Noël, le 26 décembre). Toutefois, leur application est soumise à des conditions géographiques précises :

  • Le Vendredi Saint est un jour férié légal uniquement dans les communes dotées d’un temple protestant ou d’une église mixte, une question qui se pose souvent à Strasbourg ou Metz.
  • Le 26 décembre est un jour férié sur l’ensemble des trois départements concernés (département de la Moselle, Bas-Rhin et du Haut-Rhin).

Pour une entreprise, cela signifie que, sauf dérogation, ces jours sont obligatoirement chômés et payés pour les salariés travaillant dans les communes concernées, au même titre que les autres jours fériés légaux. La Cour de cassation a d’ailleurs confirmé que le Vendredi Saint, lorsqu’il est applicable, a bien le caractère de fête légale (Cass. soc., 19 juin 1986, n° 83-43.094).

Entreprises et activités exemptées ou soumises à dérogations

Le régime dérogatoire alsacien-mosellan ne s’applique pas à toutes les entreprises. Le Code du travail exclut explicitement de son champ d’application plusieurs secteurs d’activité, qu’ils relèvent du privé ou du public, notamment les professions agricoles, les professions libérales, ou encore l’hôtellerie et la restauration (C. trav., art. L. 3134-1 et L. 3134-10). Pour ces secteurs, les dérogations au repos obligatoire peuvent s’accompagner de compensations spécifiques, à ne pas confondre avec les conditions de retenues sur salaire pour absence. Au-delà des exclusions de droit, des autorisations administratives peuvent être sollicitées. L’autorité administrative peut accorder une dérogation lorsque l’activité est nécessaire pour satisfaire des besoins de la population ou pour éviter un dommage disproportionné. Dans le cadre du commerce, l’accord interprofessionnel local du 6 janvier 2014, fruit d’une négociation collective, prévoit qu’à défaut d’accord plus favorable, le travail un jour férié donne droit à une rémunération majorée de 150 % et un repos compensateur équivalent.

Les jours fériés liés à l’abolition de l’esclavage dans les DROM

En plus des fêtes légales nationales, les départements et régions d’outre-mer (DROM) bénéficient d’un jour férié spécifique destiné à commémorer l’abolition de l’esclavage. Cette disposition, issue de la loi du 30 juin 1983, ancre dans le calendrier social un moment de mémoire essentiel, avec des dates qui varient pour chaque territoire au fil de chaque année.

Liste des jours fériés par département d’outre-mer

Chaque département ou collectivité d’outre-mer commémore l’abolition de l’esclavage à une date qui lui est propre, fixée par l’article L. 3422-2 du Code du travail. Ces dates s’ajoutent au calendrier national pour les entreprises locales :

  • Guadeloupe : 27 mai
  • Guyane : 10 juin
  • Martinique : 22 mai
  • La Réunion : 20 décembre
  • Mayotte : 27 avril
  • Saint-Barthélemy : 9 octobre
  • Saint-Martin : 27 mai

Modalités de compensation et spécificités juridiques

Ces jours de commémoration ont le statut de jours fériés légaux ordinaires. En l’absence de dispositions spécifiques prévoyant un régime de compensation dérogatoire, ce sont les règles de droit commun qui s’appliquent. Le chômage n’est donc pas obligatoire, sauf pour les jeunes travailleurs de moins de 18 ans. Pour les autres salariés, le chômage du jour férié ne peut entraîner aucune perte de salaire, à condition qu’ils totalisent au moins trois mois d’ancienneté dans l’entreprise. Si un employeur demande à un salarié de travailler ce jour-là, les éventuelles compensations, comme une majoration de salaire ou un repos, ne sont pas prévues par la mesure légale. Elles dépendront donc exclusivement des dispositions de la convention collective applicable ou d’un usage en vigueur dans l’entreprise.

Le cas particulier des jours fériés pour les ouvriers mineurs (Sainte-Barbe)

Certaines professions, en raison de leur histoire et de leurs traditions, bénéficient de régimes de jours fériés spécifiques. Le cas le plus emblématique est celui des ouvriers des mines avec la célébration de la Sainte-Barbe, reconnue par la loi comme un jour chômé et payé, témoignant de l’héritage social de cette profession.

Régime juridique du 4 décembre : jour chômé et payé

La loi du 20 mars 1951 accorde aux ouvriers mineurs le droit à un jour férié chômé et payé le 4 décembre, jour de la Sainte-Barbe, sainte patronne des mineurs. Si cette date coïncide avec un dimanche, ce droit est reporté au lendemain. Le principe de ce jour férié particulier s’ajoute à la liste des fêtes légales de droit commun et doit être rémunéré sans aucune condition d’ancienneté ou de présence. Ce régime dérogatoire illustre comment des lois spécifiques peuvent impacter les principes de fixation de la rémunération en imposant le paiement d’une journée non travaillée.

Interactions des jours fériés spécifiques avec d’autres droits du travail

L’application de ces régimes dérogatoires ne se limite pas à la simple observation d’un jour chômé. Elle interagit avec d’autres dispositifs du droit du travail comme les congés payés, la journée de solidarité ou le maintien de salaire en cas de maladie. Ces interactions, particulièrement marquées en Alsace-Moselle, créent des situations juridiques complexes que l’entreprise se doit de maîtriser.

Jours fériés spécifiques et calcul des congés payés

Un jour férié chômé qui coïncide avec une période de vacances payées n’est pas décompté comme un jour de congé. La prise en compte de cette règle est un outil de gestion du personnel indispensable. En Alsace-Moselle, l’application de cette règle au Vendredi Saint et au 26 décembre a des conséquences directes. Si l’un de ces jours est inclus dans la période de vacance d’un salarié, il ne compte pas comme un jour ouvrable de congé. Leur statut de jour chômé a une incidence directe sur le décompte des congés payés, ce qui prolonge la durée d’absence du salarié. La Cour de cassation a explicitement confirmé cette règle pour les jours fériés spécifiques à l’Alsace-Moselle (Cass. soc., 29 oct. 2003, n° 01-45.485).

Exclusions de la journée de solidarité et impact sur les RTT en Alsace-Moselle

La législation alsacienne-mosellane présente une autre particularité notable concernant la journée de solidarité. L’article L. 3134-16 du Code du travail exclut expressément le Vendredi Saint et le 26 décembre de la liste des jours fériés pouvant être travaillés à ce titre, contrairement au lundi de Pentecôte dans le régime général. En effet, ces jours spécifiques sont explicitement exclus du champ d’application, ce qui déroge aux règles encadrant la journée de solidarité au niveau national. De plus, la jurisprudence a établi qu’il est impossible de positionner un jour de RTT sur un jour férié chômé dans l’entreprise. Cette interdiction est d’ordre public et ne peut être contournée par un accord de branche ou d’entreprise. Cette solution a été confirmée pour ces deux jours fériés par un arrêt de la Cour de cassation (Cass. soc., 11 juill. 2007, n° 06-40.567), interdisant à un accord collectif de prévoir une telle mesure.

Maintien de salaire en cas de maladie coïncidant avec jours fériés locaux

La législation d’Alsace-Moselle instaure une dérogation importante en matière de maintien de salaire. En vertu de l’article L. 1226-23 du Code du travail, un salarié absent pour une cause personnelle indépendante de sa volonté, comme la maladie, et pour une « durée relativement sans importance », a droit au maintien intégral de sa rémunération. Cette protection salariale est une spécificité forte de la région Alsace-Lorraine. La jurisprudence a précisé cette notion, considérant par exemple qu’une absence de quelques jours (jusqu’à une dizaine) pouvait relever de ce dispositif. Si une telle absence coïncide avec un jour férié comme le Vendredi Saint, l’entreprise est tenue de rémunérer cette journée comme si elle avait été travaillée, sans pouvoir opérer de retenue. Cette spécificité constitue une exception notable aux règles habituelles du calcul des retenues sur salaire en cas d’absence pour maladie.

La gestion des jours fériés, notamment lorsqu’elle est soumise à des régimes particuliers, exige une vigilance constante de la part de l’entreprise pour rester en conformité avec la loi. Pour une analyse approfondie de votre situation et un conseil adapté à votre secteur et votre localisation, que ce soit pour la gestion des ponts ou des périodes de vacance, notre cabinet se tient à votre disposition. Ce guide est un premier outil pour une gestion efficace.

Sources

  • Code du travail, articles L. 3133-1 à L. 3133-3 (régime général des jours fériés)
  • Code du travail, articles L. 3134-1 et suivants (Droit local alsacien-mosellan)
  • Code du travail, article L. 3422-2 (Commémoration de l’abolition de l’esclavage)
  • Code du travail, articles L. 1226-23 et L. 3134-16 (Spécificités Alsace-Moselle)
  • Loi n° 51-350 du 20 mars 1951 (Sainte-Barbe)
  • Loi n° 83-550 du 30 juin 1983 (Jours fériés dans les DROM)
  • Jurisprudence de la Cour de cassation (notamment Cass. soc., 29 oct. 2003, n° 01-45.485 ; Cass. soc., 11 juill. 2007, n° 06-40.567)