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Le calcul des retenues sur salaire, bien que relevant de la gestion de la paie courante de l’entreprise, est une source fréquente de complexité et de litiges. Pour un employeur, la maîtrise des différentes méthodes est un enjeu de conformité et de prévention des contentieux prud’homaux. Face à la diversité des situations – maladie en novembre, grève, jours fériés ou spécificités liées au statut du salarié – une erreur peut rapidement survenir et fragiliser la relation de travail. Face à la complexité des règles, l’assistance d’un avocat spécialisé en droit du travail est souvent indispensable pour sécuriser les pratiques de l’entreprise.

Principes fondamentaux des retenues sur salaire

Avant d’aborder les méthodes de calcul spécifiques, il est essentiel de comprendre le cadre général des retenues et de la compensation des créances entre employeur et salarié. Ces dernières ne sont pas des sanctions, mais la conséquence logique de la suspension du contrat de travail due à l’absence du salarié. Elles ne relèvent donc pas du pouvoir disciplinaire de l’employeur, même si des manquements commis durant une absence peuvent, par ailleurs, être sanctionnés.

Contrepartie du travail et exceptions

Le salaire constitue la contrepartie de la prestation de travail fournie par le salarié. En vertu de ce principe fondamental, lorsque le travail n’est pas exécuté, la rémunération n’est pas due. C’est sur ce fondement que reposent les retenues pour absence. Toutefois, de nombreuses exceptions légales ou conventionnelles imposent à l’employeur un maintien total ou partiel du salaire, même sans contrepartie de travail. C’est notamment le cas pour certains congés pour événements familiaux, des jours fériés chômés ou, sous conditions, en cas d’arrêt maladie.

Interdiction des sanctions pécuniaires

Il est impératif de distinguer la retenue sur salaire pour absence de la sanction pécuniaire. L’article L. 1331-2 du Code du travail prohibe formellement les amendes et autres sanctions pécuniaires. Une retenue est légitime si elle est strictement proportionnelle à la durée de l’absence, ce qui doit apparaître clairement sur le bulletin de paie. Toute retenue forfaitaire ou qui viserait à punir un comportement fautif du salarié serait illicite. Cette prohibition est un principe fondamental du droit du travail, distinguant clairement la retenue (conséquence d’une interruption d’activité) des sanctions pécuniaires interdites qui, elles, sont illégales.

Calcul des retenues pour absence maladie ou accident

L’absence pour maladie est l’une des causes les plus fréquentes de retenue sur salaire. Sa gestion pour l’employeur implique de jongler entre les obligations légales de maintien de salaire, les dispositions conventionnelles et le calcul précis de la retenue, tout en intégrant les récentes évolutions législatives.

Impact de la Loi 2024-364 sur les congés payés et la maladie

La loi du 22 avril 2024 a introduit des changements notables concernant l’acquisition de congés payés pendant un arrêt maladie d’origine non professionnelle. Désormais, un salarié dans cette situation acquiert deux jours ouvrables de congés par mois d’absence, dans la limite de 24 jours par an. Pour le calcul de l’indemnité de congés payés selon la méthode du dixième, la rémunération correspondant à ces périodes de maladie est prise en compte à hauteur de 80 %. Cette réforme, qui aligne en partie le droit français sur le droit européen, impacte indirectement les calculs de paie et la gestion globale des absences.

Indemnité complémentaire : conditions et calcul (90% / 66.66%)

Au-delà des indemnités journalières de la Sécurité sociale (IJSS), l’employeur est tenu, sous conditions, de verser une indemnité complémentaire. Pour en bénéficier, le salarié doit justifier d’au moins un an d’ancienneté, avoir transmis son arrêt de travail à l’employeur et à sa caisse d’assurance maladie (CPAM) dans le délai fixé de 48 heures, être pris en charge par la Sécurité sociale et être soigné en France ou dans l’Espace économique européen. Sauf disposition conventionnelle plus favorable, un délai de carence de sept jours s’applique. L’indemnisation légale s’élève à 90 % de la rémunération brute pendant les 30 premiers jours, puis à 66,66 % pendant les 30 jours suivants. Ces durées d’indemnisation augmentent progressivement avec l’ancienneté du salarié.

Salaire de référence et déduction des IJSS

L’indemnité complémentaire est calculée sur la base de la rémunération brute que le salarié aurait perçue s’il avait continué à travailler. Cela inclut le salaire de base, mais aussi les primes et la part variable, sauf si la convention collective les exclut explicitement. De cette somme, il faut déduire le montant brut des indemnités journalières de sécurité sociale (IJSS). Le calcul des IJSS maladie est effectué par la CPAM et le versement est fait soit directement au salarié, soit à l’employeur en cas de subrogation. L’employeur doit alors s’assurer de bien tenir compte du montant des IJSS pour ne verser que le complément. La jurisprudence a précisé que, sauf disposition conventionnelle contraire, l’obligation de maintien de salaire s’entend d’un maintien du salaire net. Cette « garantie du net » vise à assurer que le salarié ne perçoit pas, en cumulé (complément + IJSS), une somme supérieure à son salaire net habituel, un point technique que tout gestionnaire de paie doit maîtriser pour éviter une erreur sur le bulletin de paie.

Rôle de la contre-visite médicale et ses conséquences

L’employeur qui verse un complément de salaire a le droit de mandater un médecin pour faire procéder à une contre-visite médicale au domicile du salarié. Si le médecin contrôleur estime que l’arrêt de travail n’est pas justifié, ou si le salarié se soustrait au contrôle sans motif légitime, l’employeur peut suspendre le versement de l’indemnité complémentaire. Cette suspension ne constitue pas une sanction, mais la conséquence de la disparition de la justification de son obligation de maintien de salaire.

Calcul des retenues en cas de grève

La grève, droit fondamental des salariés, entraîne une suspension du contrat de travail et, par conséquent, une retenue sur salaire. Les modalités de calcul de cette retenue sont toutefois encadrées de manière stricte pour protéger les droits de chaque partie.

Impact sur la rémunération : proportionnalité et mensualisation

La règle est claire : la retenue sur salaire doit être strictement proportionnelle à la durée de l’arrêt de travail. Une grève de quelques heures ne peut justifier la perte d’une journée entière de salaire. Pour un salarié mensualisé, la retenue se calcule en rapportant le salaire mensuel au nombre d’heures de travail réelles dans le mois. Une retenue calculée sur la base d’un nombre moyen d’heures (151,67h) ou de jours calendaires (comme 30 pour novembre) serait illicite et pourrait être contestée devant le conseil de prud’hommes.

Grève et maladie : concours des causes de suspension

Que se passe-t-il si un salarié tombe malade pendant une grève, ou inversement ? La jurisprudence applique une règle chronologique : c’est la première cause de suspension du contrat qui prime. Si le salarié était déjà en arrêt maladie avant le début du mouvement de grève, il conserve son droit aux indemnités maladie. À l’inverse, s’il a cessé le travail pour fait de grève avant de tomber malade, il est présumé gréviste et la retenue sur salaire s’applique pour toute la durée du conflit. La chronologie des événements est déterminante pour gérer ces situations de concours de suspension, qui obéissent à des règles jurisprudentielles précises.

Spécificités pour la Fonction Publique (État, Territoriale, Hospitalière)

Dans la fonction publique d’État, la règle dite du « trentième indivisible » s’applique. Elle signifie que toute cessation de travail, même d’une durée inférieure à une journée, entraîne une retenue d’un trentième du traitement mensuel. Pour la fonction publique territoriale et hospitalière, la règle est différente : la retenue est, comme dans le secteur privé, strictement proportionnelle à la durée de la grève.

Incidence des jours fériés sur les retenues de salaire

La présence de jours fériés pendant une période d’absence vient complexifier le calcul des retenues et du maintien de salaire, un autre point de vigilance pour l’employeur.

Jours fériés chômés et payés : conditions d’ancienneté

À l’exception du 1er mai, qui est toujours chômé et payé pour tous les salariés, le paiement des autres jours fériés chômés (comme le 1er novembre, par exemple) est conditionné. Le salarié doit justifier d’au moins trois mois d’ancienneté dans l’entreprise. De plus, sauf absence préalablement autorisée, il doit avoir été présent le dernier jour de travail précédant le jour férié et le premier jour de travail qui lui fait suite. Un salarié en absence injustifiée qui encadre un jour férié perd donc le bénéfice de son paiement.

Journée de solidarité et retenues

La journée de solidarité correspond à une journée de travail supplémentaire qui n’est pas rémunérée. Si un salarié est absent ce jour-là, l’employeur est en droit de pratiquer une retenue sur salaire correspondant aux heures qui auraient dû être travaillées, cette retenue ne constituant pas une sanction pécuniaire.

Calcul des retenues si jour férié pendant une absence

Lorsqu’un jour férié habituellement chômé dans l’entreprise tombe pendant une période d’absence, son traitement dépend de la nature de cette absence. S’il s’agit d’une absence indemnisée (par exemple, un arrêt maladie avec maintien de salaire par l’employeur), le jour férié doit également être payé. En revanche, si l’absence n’est pas rémunérée (comme une grève ou une absence injustifiée), le salarié ne peut prétendre au paiement du jour férié.

Spécificités des retenues pour les salariés en forfait jours

Le calcul des retenues pour les salariés en forfait jours, qui ne sont pas soumis à un décompte horaire de leur temps de travail, obéit à une logique différente. C’est un point technique souvent méconnu et source d’erreurs.

Principes de calcul pour absence de durée non journalière

Pour une absence d’une journée ou d’une demi-journée, la retenue est simple : elle correspond à la valeur d’une journée ou demi-journée de travail. La difficulté surgit pour les absences plus courtes (quelques heures). La Cour de cassation a validé une méthode consistant à déterminer un salaire horaire « fictif ». Pour cela, on divise le salaire annuel par le nombre de jours prévus au forfait pour obtenir une valeur journalière. Ensuite, ce salaire journalier est divisé par la durée légale du travail (ou la durée applicable aux autres cadres si elle est supérieure) pour obtenir un taux horaire. La retenue pour cette interruption d’activité correspond alors au produit de ce taux horaire par le nombre d’heures d’absence.

Impact des accords collectifs sur les retenues

Les accords collectifs qui instaurent le forfait jours peuvent prévoir des règles de calcul spécifiques. Certains peuvent même interdire toute retenue pour une absence d’une durée inférieure à une journée ou une demi-journée. Il est donc primordial pour l’employeur de se référer à l’accord de forfait jours applicable dans l’entreprise avant de procéder à une quelconque retenue.

Modalités de calcul des réductions de salaire : mensualisation et lissage

La méthode de calcul de la retenue sur salaire pour un salarié mensualisé est strictement encadrée par la jurisprudence pour garantir sa proportionnalité. Il est important de noter que ces retenues pour absence diffèrent des prélèvements forcés et ne doivent pas être confondues avec les limites légales comme la quotité saisissable applicables en cas de dettes du salarié.

Calcul au prorata du temps d’absence

La seule méthode rigoureuse, validée par la Cour de cassation, est celle du « nombre d’heures réelles » du mois. La retenue par heure d’absence est égale au quotient du salaire mensuel par le nombre d’heures de travail réellement prévues dans l’entreprise pour le mois considéré. On multiplie ensuite ce taux horaire par le nombre d’heures d’absence exact du salarié. Cette méthode est la seule qui garantit une stricte proportionnalité.

Interdiction des retenues forfaitaires

Toute autre méthode de calcul est proscrite si elle s’avère moins favorable au salarié. Sont ainsi interdites les méthodes forfaitaires basées sur un nombre moyen de jours (22, 26, 30) ou d’heures (151,67) par mois. Ces dernières ne reflètent pas la réalité du travail et peuvent conduire à une retenue disproportionnée, exposant l’employeur à un rappel de salaire.

Lissage de la rémunération et base de calcul

Dans les entreprises où la durée du travail varie sur l’année (modulation, aménagement du temps de travail), un lissage de la rémunération est souvent mis en place. L’accord collectif qui l’instaure doit prévoir les modalités de calcul de la rémunération et des retenues en cas d’absence. Généralement, l’indemnisation se fait sur la base du salaire lissé ou du salaire moyen, afin de neutraliser les variations d’horaires et d’assurer une paie stable.

Exemples pratiques et cas concrets de calcul des retenues

L’application de ces principes peut être illustrée par des cas concrets, permettant de mieux saisir les enjeux pratiques pour la gestion de la paie.

Cas pratique : absence maladie avec indemnité complémentaire

Voici un exemple : un salarié avec 2 ans d’ancienneté, dont la rémunération brute est de 3 000 €, est en arrêt de travail pour maladie du 6 novembre au 15 novembre (10 jours calendaires). Après le jour de carence légal de 7 jours, il bénéficie d’une indemnisation complémentaire. La retenue pour absence sur sa fiche de paie sera calculée au prorata des heures non travaillées. L’employeur devra ensuite calculer l’indemnité à 90 % pour 3 jours (10 jours d’arrêt – 7 jours de carence), en déduisant les IJSS perçues pour cette même période, dont le montant est communiqué via une attestation de la Sécurité Sociale.

Cas pratique : retenue pour grève dans le secteur privé

Autre exemple : un salarié dont la rémunération est de 2 500 € bruts fait grève pendant 4 heures le 20 octobre. Le mois d’octobre comporte 22 jours travaillés, soit 154 heures (22 jours x 7h). Le taux horaire réel pour ce mois est de 2 500 € / 154h = 16,23 €. La retenue sur son salaire sera donc de 16,23 € x 4h = 64,92 €.

Cas pratique : absence en forfait jours et proratisation

Un cadre au forfait de 218 jours avec un salaire annuel de 60 000 € brut est absent une journée le 10 février. La retenue sera de 60 000 € / 218 jours = 275,23 €. S’il est absent 2 heures, le calcul de cette interruption d’activité devient plus complexe. Salaire journalier : 275,23 €. Taux horaire fictif (sur une base de 7h) : 275,23 € / 7h = 39,32 €. La retenue pour cette absence est donc de : 39,32 € x 2h = 78,64 €.

La diversité des situations et la complexité des règles applicables rendent la gestion des retenues sur salaire particulièrement délicate. Une erreur de calcul ou de méthode peut rapidement mener à un contentieux. Pour sécuriser vos pratiques de paie et garantir votre conformité, que ce soit pour la paie de novembre ou tout autre mois, l’accompagnement par un avocat est une démarche préventive essentielle. Notre cabinet est à votre disposition pour auditer vos méthodes et vous assister dans la gestion de ces problématiques.

Sources

  • Code du travail (notamment articles L. 1331-2, L. 3133-3, L. 3133-5, L. 1226-1)
  • Loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne
  • Code de la sécurité sociale (concernant les indemnités journalières)
  • Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (pour la grève dans la fonction publique)
  • Fiche pratique « Répondre à une question sur la paie : la journée d’absence », par Sophie Duval, expert-paie.fr, publié le 16 novembre 2023.