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La gestion des jours fériés, en apparence simple, recèle une complexité juridique souvent sous-estimée par les employeurs. Entre les nombreuses dispositions sur la rémunération, les cas de coïncidence avec un jour de repos et le régime très strict du travail exceptionnel, une erreur d’application peut rapidement entraîner des contentieux et des sanctions. La complexité des règles entourant les jours fériés, notamment en cas de coïncidence ou de travail exceptionnel, rend souvent nécessaire l’assistance d’un avocat expert en droit du travail pour sécuriser les pratiques de l’entreprise. Anticiper ces situations permet de protéger l’entreprise tout en respectant scrupuleusement les droits des salariés.

I. Jours fériés : le cadre général du droit du travail

Pour une compréhension exhaustive des fondamentaux, il est essentiel de maîtriser le cadre général des jours fériés en droit du travail, qui définit les règles de base avant d’aborder les cas complexes. En France, la législation distingue le 1er mai, seul jour obligatoirement chômé et payé pour tous les salariés, des autres jours fériés dits « ordinaires », pour lesquels le chômage n’est pas une obligation. C’est donc la convention collective applicable, ou à défaut un accord d’entreprise, qui fixe la liste des jours fériés chômés au sein de l’entreprise, jouant ainsi un rôle déterminant.

A. Définition et sources des jours fériés

Un jour férié est une fête légale, d’origine civile ou religieuse, dont la liste est fixée par l’article L. 3133-1 du Code du travail. On y retrouve des dates comme le 1er janvier, le lundi de Pâques, le 1er mai, le 8 mai, l’Ascension, le lundi de Pentecôte, la fête nationale du 14 juillet, le 15 août, la Toussaint du 1er novembre ou encore le jour de Noël du 25 décembre. Le 1er mai, fête du Travail, bénéficie d’un statut particulier, son chômage étant impératif sauf pour les établissements dont l’activité, par sa nature, ne peut être interrompue. Les sources conventionnelles (conventions et accords collectifs) sont centrales : elles peuvent prévoir le chômage de jours fériés que la loi ne rend pas obligatoirement chômés, et surtout, définir des conditions de rémunération plus favorables pour le travail effectué ces jours-là.

B. Régimes spécifiques et application territoriale

Le droit du travail français connaît des régimes territoriaux spécifiques. En Alsace-Moselle, le droit local (codifié notamment à l’article L3134-1 et suivants du Code du travail) ajoute deux jours fériés supplémentaires qui sont obligatoirement chômés dans les entreprises industrielles, commerciales ou artisanales : le Vendredi Saint dans les communes dotées d’un temple protestant ou d’une église mixte, et le 26 décembre (le second jour de Noël). Ces jours bénéficient du même régime que les autres jours fériés reconnus. De même, dans les départements et régions d’outre-mer (DOM), des jours fériés spécifiques à une date précise commémorant l’abolition de l’esclavage sont prévus par la loi. La législation applicable est toujours celle du lieu d’exécution du contrat de travail, un point important pour les entreprises ayant des établissements sur plusieurs territoires.

II. Coïncidences des jours fériés : quelles règles de compensation ?

Les caprices du calendrier créent des situations parfois complexes pour l’employeur. Que se passe-t-il lorsqu’un jour férié tombe sur un jour de repos habituel comme le dimanche ou, plus rarement, une coïncidence de deux jours fériés se produit le même jour ? La réponse n’est pas toujours intuitive et dépend très largement des dispositions prévues par la convention collective ou un accord d’entreprise.

A. Coïncidence jour férié et jour de repos hebdomadaire

Lorsqu’un jour férié chômé coïncide avec un jour de repos hebdomadaire (souvent le dimanche, mais aussi le samedi ou un autre jour dans le cadre d’une semaine de quatre jours), le principe est clair : aucune compensation n’est due au salarié. Il ne peut prétendre ni à un jour de repos supplémentaire, ni à une indemnité compensatrice. La Cour de cassation a récemment réaffirmé cette position dans un arrêt du 10 mai 2023 (Cass. soc., 10 mai 2023, n° 21-24.036), précisant que le salarié perdait le bénéfice de ce jour férié. Toutefois, cet avantage pour l’employeur peut être effacé par de nombreuses conventions collectives qui prévoient des dispositions plus favorables, comme l’octroi d’un jour de repos compensateur. C’est le cas, par exemple, de la convention FEHAP ou de celle des transports routiers. Il est donc impératif de vérifier ce que prévoit l’accord de branche applicable.

B. Coïncidence de deux jours fériés le même jour

La situation, bien que rare, où une coïncidence de deux jours fériés se produit (par exemple, un jeudi de l’Ascension et le 1er mai) soulève des questions juridiques pointues. En l’absence de règle, les interprétations ont divergé. La Direction Générale du Travail (DGT), dans une note de 2008, a estimé que les salariés devaient bénéficier d’un jour de repos supplémentaire dès lors qu’une convention collective prévoyait le chômage des jours fériés. La Cour de cassation, de son côté, a une approche plus nuancée, centrée sur le sens exact de la rédaction de la convention collective (Cass. soc., 27 mars 2019, n° 18-10.372). Si l’accord garantit un nombre fixe de jours chômés dans l’année (par exemple « dix jours payés correspondant aux fêtes légales »), alors la coïncidence de deux d’entre eux doit donner lieu à une compensation pour respecter ce quota. La prudence et une analyse fine de l’accord applicable sont donc de mise pour l’employeur afin de déterminer le traitement adéquat.

III. Travail exceptionnel les jours fériés : régimes et rémunération

Organiser le travail un jour férié répond à un régime juridique strict, qui distingue fondamentalement le 1er mai des autres jours. L’employeur doit connaître précisément ses obligations pour éviter tout risque de contestation et de sanction.

A. Jours fériés « ordinaires » (hors 1er mai)

Pour les jours fériés autres que le 1er mai, la loi n’impose pas le repos. L’employeur est donc en droit de demander à ses salariés de travailler si l’activité de l’entreprise le justifie, sauf si un accord collectif en dispose autrement. En principe, le salarié ne peut refuser de venir travailler un jour férié non chômé par l’entreprise, sous peine de s’exposer à une sanction disciplinaire pour absence injustifiée selon son horaire de travail habituel. Sauf disposition conventionnelle ou usage plus favorable, le travail un jour férié ordinaire n’ouvre droit à aucune majoration de salaire. Bien que le travail un jour férié ordinaire n’ouvre pas droit à une compensation salariale spécifique, toute absence non justifiée ce jour-là peut entraîner des conséquences sur la paie, selon les règles de retenue sur salaire en vigueur. Encore une fois, la convention collective est déterminante et peut prévoir des compensations en repos ou des rémunérations majorées.

B. Le régime spécifique du 1er mai

Contrairement aux autres jours fériés, le législateur a instauré un régime dérogatoire strict pour le 1er mai, prévoyant un chômage obligatoire et une indemnisation spécifique. Ce jour doit être chômé et payé pour l’ensemble du personnel. Le travail ce jour-là est exceptionnel et limité par la loi aux seuls « établissements et services qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail » (hôpitaux, transports publics, hôtels…). Les salariés qui travaillent exceptionnellement le 1er mai ont droit, en plus de leur salaire normalement dû, à une indemnité spéciale égale à 100 % de ce salaire. Cette disposition est d’ordre public : elle ne peut être remplacée par un repos compensateur, même avec l’accord du salarié.

IV. Sanctions pénales pour non-respect de la législation sur les jours fériés

Le non-respect des dispositions sur les jours fériés expose l’employeur à un arsenal répressif particulier, qui s’ajoute aux sanctions applicables en cas de manquement plus général aux obligations de paiement. Le risque financier peut être important, notamment en cas de contrôle de l’Inspection du travail.

A. Champ d’application des sanctions

L’arsenal répressif distingue nettement les infractions liées au 1er mai de celles concernant les autres jours fériés. Le non-respect du chômage obligatoire ou des règles de rémunération du 1er mai est sévèrement sanctionné. Par ailleurs, une protection renforcée s’applique aux jeunes travailleurs et apprentis de moins de 18 ans. Pour cette catégorie de salariés, le travail les jours fériés est en principe interdit, sauf dérogations très encadrées dans certains secteurs comme l’hôtellerie, la restauration, la boulangerie-pâtisserie ou encore la vente au détail de denrées alimentaires. Des dérogations existent également pour des travaux urgents dont la nature ne permet pas d’interruption. Employer un jeune travailleur en dehors de ce cadre expose l’entreprise à des sanctions pénales aggravées.

B. Détail des sanctions pénales

Le non-respect des règles relatives au 1er mai (prévues aux articles L3133-4 et suivants), qu’il s’agisse du chômage obligatoire, du paiement de l’indemnité ou du travail exceptionnel, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 4ème classe, soit 750 euros pour une personne physique. De manière particulièrement dissuasive, l’article R. 3135-3 du Code du travail précise que l’amende est appliquée autant de fois qu’il y a de salariés indûment employés. Le fait de faire travailler illégalement des jeunes de moins de 18 ans un jour férié est puni d’une amende de 5ème classe, soit 1 500 euros, là encore appliquée autant de fois qu’il y a de jeunes salariés concernés.

C. Mise en œuvre des sanctions et autres leviers

Au-delà de la simple verbalisation, l’Inspecteur du travail dispose de moyens d’action efficaces. En cas d’infraction constatée au repos dominical ou aux jours fériés, il peut saisir le juge des référés pour faire ordonner toute mesure propre à faire cesser le trouble manifestement illicite, y compris la fermeture de l’établissement le jour concerné. Cette procédure rapide permet de mettre fin immédiatement à une situation illégale, sans attendre l’issue des poursuites pénales. Le responsable pénal est le chef d’entreprise, sauf si une délégation de pouvoir valable a été établie.

V. Jours fériés et autres situations : ponts, congés payés, RTT et astreintes

La gestion des jours fériés s’imbrique avec d’autres dispositifs d’aménagement du temps de travail. Une vision d’ensemble est nécessaire pour l’employeur afin d’assurer une gestion cohérente et sécurisée des plannings et de la paie.

A. Jours fériés et ponts

La pratique du « pont » consiste à ne pas travailler un ou deux jours ouvrables compris entre un jour férié et un jour de repos hebdomadaire. Cette interruption du travail n’est pas un droit pour le salarié et relève d’une décision unilatérale de l’employeur ou d’un accord collectif. Les heures non travaillées au titre du pont peuvent faire l’objet d’une récupération, c’est-à-dire être effectuées à une autre période, contrairement aux heures perdues du fait d’un jour férié chômé, qui ne sont jamais récupérables. Si un salarié est malade pendant un pont dont les heures sont à récupérer, il sera néanmoins tenu d’effectuer les heures de récupération au même titre que ses collègues.

B. Jours fériés et congés payés

La gestion des jours fériés ne peut être dissociée de l’articulation avec les congés payés, notamment lorsqu’un jour férié chômé coïncide avec une période de vacances. Si un jour férié habituellement chômé dans l’entreprise tombe pendant les congés payés d’un salarié, ce jour n’est pas décompté comme un jour de congé. La conséquence pratique est que le congé du salarié est prolongé d’une journée, ou qu’un jour de congé en moins lui est décompté. Ignorer cette règle reviendrait à priver le salarié d’un jour de repos et pourrait être sanctionné.

C. Jours fériés, RTT, astreintes et temps partiel

Les jours de réduction du temps de travail (RTT) ont pour objet de compenser les heures de travail effectuées au-delà de la durée légale. Ils ne peuvent donc pas être positionnés sur un jour férié chômé, car cela reviendrait à faire coïncider deux jours de repos ayant des origines différentes, au détriment du salarié. L’impact est différent pour un salarié en temps partiel, dont la durée du travail est déjà réduite. Concernant l’astreinte, un salarié peut tout à fait être d’astreinte un jour férié chômé, y compris le 1er mai. Il perçoit alors la contrepartie financière ou en repos prévue pour l’astreinte, qui s’ajoute à l’indemnisation du jour férié. S’il est amené à intervenir, son temps d’intervention est considéré comme du travail effectif et doit être rémunéré selon les dispositions spécifiques applicables au travail d’un jour férié.

D. Jours fériés et journée de solidarité

Initialement fixée au lundi de Pentecôte, la journée de solidarité consiste en une journée de travail supplémentaire non rémunérée, destinée à financer des actions en faveur de l’autonomie des personnes âgées ou handicapées. Une convention ou un accord prévoit ses modalités d’accomplissement. Elle peut correspondre au travail d’un jour férié précédemment chômé (sauf le 1er mai), d’un jour de RTT, ou à toute autre modalité permettant le travail de 7 heures non travaillé auparavant. Pour un salarié à temps partiel, la durée de cette journée est calculée au prorata de son horaire contractuel.

La gestion des jours fériés est un exercice qui requiert rigueur et anticipation de la part de l’employeur. Face à la rigueur des sanctions pénales, il est recommandé aux employeurs de valider leurs procédures internes avec un conseil juridique spécialisé. Notre cabinet se tient à votre disposition pour auditer vos pratiques et sécuriser votre gestion des ressources humaines. Pour une analyse approfondie de votre situation et un conseil adapté, prenez contact avec notre équipe d’avocats.

Sources

  • Code du travail : articles L. 3133-1 et suivants (Jours fériés)
  • Code du travail : articles L. 3164-6 à L. 3164-8 (Jeunes travailleurs)
  • Code du travail : articles R. 3135-2 et suivants (Sanctions pénales)
  • Code du travail : article L. 3132-31 (Action en référé de l’Inspecteur du travail)
  • Jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. soc., 10 mai 2023, n° 21-24.036 ; Cass. soc., 27 mars 2019, n° 18-10.372)