Instituée pour financer des actions en faveur de l’autonomie des personnes âgées ou handicapées, la journée de solidarité est une obligation annuelle pour les entreprises du secteur privé. Si son principe semble simple – travailler une journée supplémentaire non rémunérée – ses modalités de mise en œuvre cachent une complexité juridique que les employeurs doivent maîtriser pour leur sécurité. De la fixation de la date à la gestion des cas particuliers, un risque d’erreur peut rapidement mener à des contentieux. Cet article, véritable guide pratique, propose un survol complet du cadre légal de ce dispositif, afin de vous permettre d’anticiper les enjeux et de prendre des décisions éclairées, de son origine à ses implications concrètes sur la paie et la durée du travail.
Les fondements et objectifs de la journée de solidarité
Pour bien appliquer ce dispositif, il est utile d’en comprendre l’origine et la finalité. Loin d’être une simple augmentation du temps de travail, cette journée s’inscrit dans un cadre de financement social bien défini, relevant de l’ordre public.
Origine et évolution législative
La journée de solidarité a été instaurée par la loi du 30 juin 2004, une actualité législative marquante suite à une prise de conscience par le gouvernement de la vulnérabilité des personnes âgées. Initialement fixée au lundi de Pentecôte, qui perdait alors son caractère de jour férié chômé, le dispositif a été profondément assoupli par la loi du 16 avril 2008. Cette dernière a supprimé la date unique et a offert une grande flexibilité aux entreprises pour en déterminer les modalités d’accomplissement, transformant le principe en une journée supplémentaire de travail non rémunérée, déconnectée de toute date imposée.
Rôle et financement de l’autonomie
L’objectif de cette journée de travail est de participer au financement d’actions de solidarité publique. Concrètement, elle se traduit pour les employeurs par le versement de la Contribution Solidarité Autonomie (CSA). Cette cotisation sociale est assise sur la même base que les cotisations patronales de sécurité sociale, c’est-à-dire la masse salariale brute, et son taux est fixé à 0,3 %. Les fonds ainsi collectés sont gérés par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et servent à financer des projets visant à améliorer l’accompagnement des personnes âgées et des personnes handicapées.
Modalités de mise en œuvre : un cadre légal d’ordre public
La flexibilité offerte par la loi n’est pas absolue. La mise en place de la journée de la solidarité obéit à une hiérarchie des normes précise, relevant de l’ordre public. En tant qu’employeur, il convient de suivre une procédure claire pour en définir les modalités.
Fixation par accord collectif ou décision unilatérale
La loi donne la priorité à la négociation collective. Les modalités d’accomplissement de la journée de solidarité sont prioritairement fixées par une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement. Ce n’est qu’à défaut d’un tel accord que les dispositions d’un accord de branche s’appliquent. Si aucun texte collectif ne traite du sujet, l’employeur peut alors définir unilatéralement ces modalités, après consultation du comité social et économique (CSE), s’il existe. Cette décision doit faire l’objet d’une information claire au personnel concerné.
Choix du jour : jours fériés, RTT ou fractionnement
L’accord ou la décision de l’employeur dispose de plusieurs options pour l’accomplissement de ces sept heures de travail. Il peut s’agir :
- Du travail d’un jour férié précédemment chômé dans l’entreprise (à l’exception du 1er mai, fête du Travail).
- De la suppression d’un jour de repos accordé au titre d’un accord sur l’aménagement du temps de travail (un jour de RTT, par exemple).
- De toute autre modalité permettant le travail de sept heures non travaillées auparavant. Le Code du travail autorise expressément une répartition de ces heures : il est donc possible de prévoir une exécution fractionnée sur plusieurs jours.
Spécificités territoriales : Alsace-Moselle et DOM
Le choix de la date connaît des exceptions dans certaines régions. En Alsace-Moselle, le Vendredi Saint ainsi que le premier et le second jour de Noël ne peuvent être choisis pour accomplir la journée de solidarité. Dans les départements d’outre-mer, les jours de commémoration de l’abolition de l’esclavage, qui sont des jours fériés légaux, peuvent être valablement retenus. Chaque service public local pourra fournir l’info précise sur le calendrier.
Régime de la contribution et de la durée du travail
Le principe de « journée non rémunérée » a des incidences directes sur la paie et le décompte du temps de travail, qui varient en fonction du statut des salariés. Bien que cette journée de travail ne donne pas lieu à un revenu supplémentaire, elle s’intègre dans les obligations contractuelles et ne déroge pas aux principes fondamentaux du paiement du salaire pour le reste du mois.
Principe de non-rémunération des 7 heures
Pour les salariés mensualisés, le travail accompli durant la journée de solidarité, dans la limite de sept heures, n’entraîne aucune rémunération additionnelle. Leur paie mensuelle reste inchangée. Pour les salariés non mensualisés (saisonniers, intermittents, travailleurs à domicile), cette journée, si elle est travaillée, doit être rémunérée. Le principe de non-rémunération des 7 heures de travail au titre de la solidarité constitue une exception légale et ne remet pas en cause le respect des règles relatives au SMIC sur l’ensemble de la période de paie.
Impact sur les heures supplémentaires et complémentaires
Les heures de travail effectuées au titre de la journée de solidarité (dans la limite de 7 heures pour un temps plein) ne sont pas considérées comme des heures supplémentaires. Elles ne s’imputent pas sur le contingent annuel d’heures supplémentaires et n’ouvrent droit ni à majoration de salaire ni à une contrepartie en repos, comme un repos compensateur. Le même principe s’applique aux heures complémentaires pour les salariés à temps partiel.
Prise en compte dans la durée annuelle de travail
Bien qu’elles ne soient pas des heures supplémentaires, ces sept heures sont intégrées dans le décompte annuel du temps de travail. Par exemple, une durée annuelle de travail de 1600 heures sera portée à 1607 heures. Cette majoration s’applique également aux salariés en forfait jours ou à temps partiel annualisé.
Salariés mensualisés, non mensualisés et au forfait jours
La règle s’adapte au statut. Pour un salarié mensualisé, l’impact est neutre sur la fiche de paie. Pour un salarié non mensualisé (payé à l’heure, par exemple), la journée de solidarité est une journée de travail qui doit être payée. Pour un cadre au forfait en jours, la journée de solidarité correspond à un jour de travail supplémentaire. Le nombre de jours prévus dans sa convention de forfait est augmenté d’une unité, sans revenu additionnel.
Gestion des absences et cas particuliers
La journée de solidarité soulève des questions pratiques lorsqu’un salarié est absent ou dans une situation contractuelle particulière. L’absence d’un salarié lors de la journée de solidarité fixée par l’employeur peut légitimer une retenue sur sa paie, une mesure qui doit s’inscrire dans le cadre juridique des retenues et compensations autorisées.
Retenue sur salaire en cas d’absence injustifiée
Si un salarié est absent sans motif valable le jour fixé pour la journée de solidarité, l’employeur est en droit d’opérer une retenue sur son traitement. La jurisprudence a confirmé cette possibilité (notamment Cass. soc., 16 janv. 2008), précisant qu’il ne s’agit pas d’une sanction pécuniaire interdite mais de la conséquence de l’inexécution d’une obligation de travail. En cas d’absence injustifiée, l’employeur est en droit d’opérer une déduction sur la paie, en respectant scrupuleusement les règles de retenues sur salaire qui s’appliquent également en cas de grève ou de maladie.
Salariés à temps partiel
Pour les salariés à temps partiel, la durée de la journée de solidarité est calculée proportionnellement à leur durée contractuelle de travail. Par exemple, un salarié travaillant à mi-temps (17,5 heures par semaine) devra accomplir 3,5 heures au titre de la solidarité. La limite de sept heures est donc réduite en proportion.
Changement d’employeur en cours d’année
Un salarié n’est tenu d’accomplir qu’une seule journée de solidarité par an. S’il change d’employeur et a déjà accompli cette journée, il peut refuser de la travailler une seconde fois. S’il accepte néanmoins de l’effectuer, les heures effectuées doivent être rémunérées en plus de sa paie habituelle et s’imputent sur son contingent d’heures supplémentaires ou complémentaires.
Journée de solidarité et congés payés / maladie
Si la journée de solidarité est fixée pendant une période de congés payés du salarié, elle est sans effet. Ce jour de congé payé n’est pas décompté. De même, un salarié en arrêt maladie à la date fixée est considéré comme s’étant acquitté de son obligation. L’employeur ne peut pas lui demander de récupérer cette journée ultérieurement. La gestion de la journée de solidarité peut soulever des questions complexes, notamment sur son articulation avec les congés payés, surtout lorsqu’une période de maladie coïncide avec ces événements.
La mise en œuvre de la journée de solidarité, bien que flexible, exige une attention particulière de l’employeur pour rester en conformité avec le cadre légal. Pour sécuriser vos décisions, de la rédaction de l’accord à la gestion des cas individuels, il est recommandé de consulter un avocat expert en droit du travail qui saura vous apporter un conseil stratégique et personnalisé.
Foire aux questions
Le lundi de Pentecôte est-il toujours la journée de solidarité ?
Non. Depuis la loi de 2008, le lundi de Pentecôte est redevenu un jour férié comme les autres. La journée de solidarité peut être fixée un jour férié précédemment chômé ou à une autre date par accord collectif ou, à défaut, par décision de l’employeur.
Comment la journée de solidarité est-elle rémunérée pour un salarié mensualisé ?
Pour un salarié mensualisé, cette journée n’entraîne pas de paiement supplémentaire. La paie mensuelle habituelle est maintenue, mais elle correspond à une journée de travail en plus sur l’année.
Quelles sont les règles pour un salarié à temps partiel ?
La durée de la journée de solidarité est calculée au prorata de la durée de travail prévue dans son contrat de travail. Par exemple, un salarié à mi-temps effectuera 3,5 heures au lieu de 7 heures.
Que se passe-t-il si un salarié est absent ce jour-là ?
Si l’absence n’est pas justifiée (par un arrêt maladie, par exemple), l’employeur peut effectuer une retenue sur le traitement. Si le salarié est en arrêt maladie ou en congé maternité, il est considéré comme ayant rempli son obligation.
Un salarié doit-il effectuer deux journées de solidarité s’il change d’employeur dans l’année ?
Non, un salarié n’est tenu qu’à une seule journée de solidarité par an. S’il a déjà accompli la journée chez son précédent employeur, il n’est pas obligé de la refaire. S’il accepte, les heures travaillées doivent être payées en plus.
Est-il possible de fractionner les 7 heures de la journée de solidarité ?
Oui, une convention collective ou une décision de l’employeur peut prévoir que les 7 heures de travail dues au titre de la journée de solidarité soient effectuées de manière fractionnée tout au long de l’année.